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vers la mer. Un redoublement d’activité se manifesta dans cette colonie, qui semblait marquée du sceau de la destruction. Chaque hiver vit ainsi de nouvelles améliorations se réaliser, et chaque été vit diminuer la mortalité. La ville de Victoria, au moment où nous la visitâmes, présentait encore dans sa partie supérieure la véritable image du chaos. Partout des gouffres béans se montraient à côté des plus fastueux ou des plus élégans édifices : on eût dit que le trident de Neptune venait de fendre le sein de la terre pour en faire jaillir cette cité industrieuse, et que l’abîme n’avait pas eu le temps de se refermer. Quelques rues cependant se dessinaient déjà au milieu des éboulemens et des précipices; les quartiers de roches épars se transformaient en piliers de granit ou s’équarrissaient sous l’infatigable marteau des Chinois. Ici se développaient les vastes portiques d’une caserne, là s’élevaient lentement les massives murailles d’un temple. Les pierres semblaient se mouvoir comme aux jours fabuleux de la Grèce : la lyre d’Amphion était retrouvée.

L’admiration que nous inspirait le spectacle de tant d’activité ne pouvait nous faire oublier cependant l’intérêt qui s’attachait au dénoûment de la grave question d’où pouvait sortir une nouvelle guerre entre l’Angleterre et la Chine. Les navires anglais dispersés sur les côtes du Céleste Empire se concentraient depuis un mois à Hong-kong. Quatre navires à vapeur, deux frégates, une corvette et trois bricks allaient s’y trouver réunis. Ces forces navales, suffisantes pour enlever les forts du Bogue et bloquer l’entrée du Chou-kiang, ne pouvaient se passer, si l’on voulait entreprendre une campagne plus sérieuse, du concours des troupes demandées à Poulo-Penang et à Calcutta. La garnison de Hong-kong ne se composait que de douze cents hommes, et dans le cas d’une expédition, il n’eût point été prudent d’affecter moins de quatre cents soldats à la garde de la colonie. Sir John Davis avait donc un prétexte très plausible pour ne point brusquer l’ouverture des hostilités. Pendant ces délais inévitables, il avait mesuré d’un regard plus calme l’immense responsabilité qu’il allait encourir. Quel serait le but de sa nouvelle campagne ? Il n’y avait plus de canons à enclouer sur les bords du fleuve, l’expédition du mois d’avril s’était chargée de cette ridicule dévastation. Faudrait-il occuper les forts du Bogue? Mais cette occupation ne pouvait avoir d’autre objet que le blocus de Canton, et la guerre de 1840 avait démontré combien cette mesure serait impolitique, si elle n’était impraticable. Le Céleste Empire se suffit à lui-même; nous ne pouvons au contraire nous passer de ses produits. Voilà pourquoi la Chine peut braver des blocus qui n’auraient d’autre effet que d’assurer aux navires des États-Unis le bénéfice des transports effectués en temps ordinaire sur les