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de la bonne compagnie ; le fait est qu’elles ont le calme et la grace des femmes élevées dans les salons de nos capitales. Rien d’extraordinaire dans leur toilette : des robes d’étoffes légères taillées à la dernière mode de Paris ; des fleurs naturelles dans leurs cheveux, qui sont noirs et brillans ; la main blanche et soignée ; le pied petit et bien chaussé dans des souliers de satin ; les chairs brunes, mais colorées ; les yeux noirs. Ce ne sont pas des personnes remarquablement jolies, mais de très agréables personnes.

La conversation en général roulait sur Paris, le Paris du Journal des Modes, musique et toilette ; je leur dis des modes le peu que j’en savais. Cependant la naïveté des interrogations témoignant de l’immense distance qui me séparait de ce Paris toujours aimé, bien que si peu naïf, je me pris à le regretter de toutes mes forces et à bavarder sur son compte avec un entrain tel que plus d’une de ces dames serait partie à l’instant pour aller voir les merveilles de Paris, s’il n’y avait eu entre Aréquipa et l’Europe quatre mille lieues de pleine mer. Ces dames ne voulaient pas comprendre que l’on quittât, sans y être forcé, ce merveilleux séjour pour venir voyager dans des contrées où il n’y a ni Opéra, ni musique, ni hôtels, ni voitures, ni chemins. Il eût fallu, pour n’avoir pas tort, leur faire une longue dissertation sur la fatigue des bonnes choses indéfiniment continuées et sur la malheureuse passion du mouvement qui fait ressembler l’homme qui en est possédé à une roue sur une pente ; mais c’eût été long et ennuyeux, et ici comme à Paris les femmes ont l’ennui en horreur. Je rencontrai dans l’une des bonnes maisons de la ville une jeune femme mi-française, mi-espagnole, qui avait à réclamer je ne sais quoi d’une famille de la ville dont elle était parente. Sa vivacité d’artiste parisienne contrastait singulièrement avec le calme apparent des autres femmes qui l’entouraient, et qui semblaient comprendre l’esprit du cœur mieux que celui de la tête.

Quant aux hommes, les plus jeunes ne restent pas en arrière du mouvement intellectuel de notre siècle ; ils étudient les lois et s’occupent un peu de littérature ; ils ont le bon esprit de préférer les vieux auteurs espagnols, Cervantes, Hallejo, Quevedo, Jovellanos, aux écrivains d’Europe. En fait de littérature française, ils en sont encore à Voltaire et à toute la littérature sceptique du XVIIIe siècle. Les hommes plus âgés, dont l’éducation a été faite au temps de la vice-royauté, jouent beaucoup, fument davantage, et font un peu de commerce quand ils en ont le temps. Un sujet de conversation qui reparaît sans cesse est celui du volcan qui domine la ville : s’il ne fait pas d’éruption, il n’a malheureusement pas cessé d’être en travail, et comme l’orifice du cratère n’offre plus de débouché à l’effort souterrain de la lave, quand le jour de l’explosion arrive, la terre tremble et se crevasse