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l’être d’une confiance généreuse, bien que naïve ; mais j’atteste que, si plusieurs républicains se plaignent de déceptions amères, ils ont été peut-être moins trompés encore que les hommes réunis ce soir-là pour contribuer à l’entreprise commune, et qui engageaient leur vote en faveur de MM. Buchez, Considérant, Martin de Strasbourg, Marrast, Cormenin, etc. Ceux qui se hasardaient à témoigner quelque doute ou quelque répugnance à l’encontre des noms les plus compromis étaient aussitôt et très vivement interpellés par cette apostrophe qui retentit encore à mes oreilles avec son accent véhément : « Voulez-vous constituer une république sans républicains ? »

En vérité, depuis qu’on accuse les monarchistes d’avoir semé d’entraves l’expérience nouvelle, je me demande s’il y a une seule concession, j’oserai même dire une seule niaiserie qu’on ait refusée aux hommes du mouvement de février avant de les avoir mis et vus à l’œuvre, et je réponds : Pas une, pas une seule, y compris la fête aux bœufs dorés et à la charrue pastorale ! On ne pouvait se résigner à croire que tant de présomption dans le discours, tant d’arbitraire dans les actes, tant de sang risqué, sinon répandu, ne recélassent pas au moins le germe de quelque progrès social. La nomination de M. Buchez à la présidence de la constituante avait été accueillie par les monarchistes comme leur propre triomphe, et plus tard M. Marrast demeura le constant élu de la majorité, le maximum de ses exigences.

J’ai réuni le début de l’assemblée et le choix de la commission de constitution pour présenter d’un seul coup d’œil les facilités, les gages donnés par la droite à l’accomplissement du programme de la gauche ; mais j’ai fait mentir les dates. Le 15 mai vint se jeter à la traverse il troubla quelques illusions, il n’arrêta ni les complaisances ni l’abnégation ; le 15 mai servit même, et ce point de vue n’a pas été assez remarqué, le 15 mai servit à prouver combien les monarchistes étaient entrés avant dans leur tâche. Tout a été dit sur l’ensemble de cette journée, mais on n’a pas assez insisté sur les détails d’intérieur.

Les républicains qui n’étaient point dans le complot du 15 mai firent des efforts très évidens pour repousser l’invasion de l’assemblée. J’ai vu M. Flocon, courant de bancs en bancs, tenir le langage le plus louable, j’ai vu M. Trélat plongé dans un morne désespoir ; mais, la dissolution de l’assemblée prononcée et devenant une sorte de fait accompli, le gros du parti républicain tomba dans un découragement immédiat. La revanche, si rapidement prise, fut due au concours spontané, énergique, des hommes qui en avaient le moins la responsabilité et la charge. Ce n’est point un républicain qui alla chercher le régiment de dragons caserné à deux cents pas de l’assemblée, ce fut M. de Rémusat. Ce n’est pas M. Charras et M. Arago qui allèrent porter ou demander des ordres au ministère de la guerre, situé à cinquante pas