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de l’assemblée. Ce n’est pas M. Buchez qui donna le signal d’aucune mesure préservatrice. On a beaucoup reproché à M. Buchez les contre-ordres de rappel qu’il consentit à signer. Pour mon compte, je ne me suis jamais permis, ni de loin ni de près, la moindre accusation envers lui à ce sujet. M. Buchez a pu croire qu’en sacrifiant sa vie il exposerait celle de ses neuf cents collègues : cela suffit pour que ces collègues soient, dans une certaine mesure, reconnaissans et tout au moins respectueux envers lui ; mais si j’écarte les reproches en ce qui concerne la séance, je me réserve le droit de faire observer qu’on a été trop inattentif pour ce qui l’a suivie. M. Buchez, en butte à des violences directes, a subi la dissolution de l’assemblée, soit : quiconque a été témoin de cette journée doit être peu enclin aux récriminations ; mais sur le seuil même du Palais-Bourbon, où M. Buchez retrouvait sa liberté, il devait retrouver aussi sa présence d’esprit, sa dignité, et pourvoir, sans prendre haleine, à la réorganisation de l’assemblée, qui se personnifiait en lui. Or, c’est là qu’existe, selon moi, le véritable chef d’accusation. M. Buchez quitte le Palais-Bourbon, comme si la catastrophe était irréparablement consommée ; il se rend au Luxembourg, où il eût trouvé bien peu de renfort, quand même il y eût trouvé la commission exécutive, mais qu’il n’y pouvait pas même chercher, puisqu’il en laissait derrière lui les principaux membres. Sa place était donc à l’hôtel de la présidence, pour y concentrer un noyau d’assemblée, reconstituer une force morale, la donner pour appui à la force armée et étouffer l’insurrection à sa naissance. Cela était tellement indiqué par la situation, que ce qui ne se présenta pas à l’esprit de M. Buchez fut exécuté instinctivement par trente ou quarante membres de l’assemblée qui ne se connaissaient pas les uns les autres, qui n’avaient aucune autorité, mais qui ne pouvaient se résoudre à céder ainsi la place, sans combat, devant la plus monstrueuse, la plus injustifiable des agressions. On peut affirmer que de ces trente ou quarante représentans qui se rallièrent ainsi à la pure et simple pensée du devoir, il n’y avait de républicains de la veille que M. Sénard et M. Corbon, vice-présidens de l’assemblée ; encore l’attitude du second fut-elle infiniment différente de celle du premier. M. Dupont de l’Eure était assis près de là, dans un état voisin de l’évanouissement. Plusieurs représentans essayaient de le ranimer et lui offraient de temps en temps des verres d’eau.

On agita la question de se transporter dans les départemens. l’un proposait Metz, un autre insistait pour Bourges ; des hommes beaucoup plus avancés dans le côté droit repoussaient fort vivement l’idée de se présenter aux départemens avant d’avoir épuisé les moyens de défense que ne pouvait manquer d’offrir Paris. M. Sénard adopta ce dernier avis, et le fit prévaloir au milieu d’une délibération très courte et très confuse.