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l’Espagne à cette époque ne tend qu’à dégager par degrés le sens conservateur du mouvement à travers les incidens les plus passionnés et les plus dramatiques, tels que la répression sanglante de l’insurrection centraliste de la Catalogne ou des soulèvemens d’Alicante et de Carthagène, tels que l’épisode étrange où l’on voyait un premier ministre espagnol, M. Olozaga, tomber en une nuit du faîte du pouvoir dans la proscription. L’administration provisoire et révolutionnaire de M. Lopez s’efface devant M. Olozaga, qui disparaît lui-même aussitôt ; M. Olozaga fait place au ministère de M. Gonzalès Bravo, présidé par un ancien progressiste, mais contraint de gouverner avec les idées modérées et par les moyens les plus énergiques pour étouffer la révolution qui menace. C’est de ce mouvement logique, invincible, qui était dans le fond des choses avant d’éclater à la surface, que sortait, au mois de mai 1844, le premier ministère purement conservateur, où figuraient MM. Mon et Pidal, et dont le général Narvaez était le chef. Tel est le caractère de cette première phase que je signalais dans la situation politique de l’Espagne inaugurée en 1843.

Le général Narvaez, on le voit, y domine dans la lutte comme dans le succès. Il avait vaincu à Torrejon de Ardoz, il avait tenu tête du conseil et de l’épée dans les heures les plus critiques, il était le chef naturel du premier gouvernement régulier fondé sur des bases conservatrices. C’est à cette époque que remontent les plus sérieux essais de réformes politiques, la réorganisation des administrations provinciales et municipales, la création du conseil d’état, les améliorations introduites dans l’instruction publique, la transformation des impôts entreprise par M. Mon ; c’est à ce premier ministère modéré que se rattache l’idée de la réforme de la constitution en 1845. Le général Narvaez tombait du pouvoir en 1846, et il se déclarait dans la politique de l’Espagne une phase nouvelle, qu’on peut caractériser comme le règne latent ou public des oppositions modérées, se traduisant en plus d’une année de malaise chronique, d’impuissance et de stériles crises ministérielles, au bout desquelles le gouvernement de la Péninsule retombait aux mains des progressistes, si le général Narvaez n’était venu le relever.

Les oppositions modérées naissent et prospèrent avec les situations calmes, et tel était alors l’état de l’Espagne, qui n’avait plus qu’une question sérieuse à résoudre, le mariage de la reine. Il y a, dans tous les pays constitutionnels, de ces partis moyens à qui la netteté pèse, qui répugnent à la sévérité de la discipline politique, et nourrissent une singulière passion d’individualité et de morcellement. Sont-ils conservateurs ? Assurément ; ils sont plus modérés que les modérés, à la condition toutefois de ne rien entendre comme les conservateurs et de tout faire autrement que ceux-ci ne font. Ce sont les petites églises dissidentes, les conservateurs progressistes de tous les temps et de tous