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On peut conjecturer néanmoins qu’il ne savait pas le grec, car, lorsqu’il cite les auteurs qui ont écrit dans cette langue, il a recours aux versions arabes qui s’étaient fort multipliées de son temps. Bien qu’il ait apporté une attention particulière à l’étude de l’Inde et qu’il insiste sur la nouveauté de ses aperçus, il est certain qu’il ignorait le sanskrit, et qu’il ne fait que répéter ce qu’il avait entendu raconter. Cependant il résulte de l’examen rigoureux auquel ses remarques sur l’Inde ont été soumises par M. Reinaud que Massoudi a fait un exposé fidèle des récits qui avaient cours au siècle où il vivait. Il faut ajouter que la plus volumineuse de ses compositions, ses Mémoires du temps, à laquelle il renvoie continuellement, est aujourd’hui perdue. Quoique Massoudi ait beaucoup écrit, il ne paraît pas avoir composé un traité spécial de géographie ; mais il n’est aucun de ses ouvrages qui ne fournisse une ample moisson de faits pour cette science et qu’on ne puisse lire avec fruit. Dans celui qui est le plus connu des orientalistes européens, ses Prairies d’or (Moroujd Aldzeheb), il examine et compare les opinions des anciens Philosophes, de la Grèce, des Indiens et des Sabéens, sur l’origine du monde. Après avoir discuté la forme et les dimensions du globe terrestre, il passe en revue les diverses régions qui le partagent et décrit les peuples qui les habitent. Ses observations s’étendent depuis la Galice et les Pyrénées jusqu’en Chine, depuis la côte de Sofala jusqu’au cœur de la Russie.

En 921, le khalife de Bagdad, Moctader Billah, envoya une ambassade au roi des Bulgares, qui venait d’adopter la religion musulmane. Les Bulgares dont il s’agit ici étaient la branche établie sur les bords du Volga, un peu au sud de la jonction de ce fleuve avec la Kama, et ne doivent pas être confondus avec les Bulgares du Danube, qui faisaient alors trembler les empereurs de Constantinople. À la suite de l’ambassade était Ahmed-Ibn-Fozlan (le fils de Fozlan), homme éclairé et de bonne foi. Ahmed, pendant son séjour sur les bords du Volga, eut occasion de voir des Russes qui descendaient et remontaient ce fleuve. Ils n’avaient pas encore embrassé le christianisme, et étaient réduit à la condition sociale la plus misérable. L’auteur arabe dépeint leurs traits physiques, leur costume et leurs armes qu’ils ne quittaient jamais, les vêtemens et la parure des femmes. Elles se couvraient les seins d’une boîte qui était de fer, de cuivre, d’argent ou d’or, suivant la fortune de leurs maris, et qui avait un anneau auquel était suspendu un poignard. La brutalité et la malpropreté de ces peuples dépassaient tout ce qu’il est possible d’imaginer. Des poutres plantées en terre, et dont l’extrémité supérieure était taillée en forme de figure humaine, étaient les divinités qu’ils adoraient ; ils leur offraient da pain, de la viande, des oignons, du lait et des liqueurs enivrantes. Quand l’un d’eux tombait malade, on lui dressait une tente à l’écart, et on l’y laissait avec une provision de pain et d’eau, sans se mettre en peine de le secourir. S’il guérissait, il rentrait parmi les siens ; s’il succombait, on le brûlait avec la tente, à moins que ce ne fût un esclave ; dans ce cas, on le jetait en pâture aux animaux carnassiers et aux oiseaux de proie.

Ibn-Fozlan avait entendu parler des cérémonies extraordinaires qui accompagnaient chez les Russes les funérailles des chefs et des grands. Le hasard lui permit d’assister à ce spectacle. Dans ces occasions, on immolait un esclave, homme ou femme, appartenant à la maison du défunt ; c’étaient le plus souvent