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donné à la marche entière de l’action quelque chose de vague, d’indéterminé. Félime, Octave, Rose, ne ressemblent guère au monde qui nous entoure. Félime n’est précisément ni honnête, ni malhonnête. Il condamne dans sa propre conduite de véritables peccadilles et se montre indulgent pour des fautes graves ; le sentiment moral manque chez lui de rectitude ; sa conscience s’alarme sans raison et ferme les yeux au moment du danger. Tel qu’il est, Félime n’appartient pas à la comédie. Rose ne peut nous intéresser, car si elle est assez clairvoyante pour discerner l’égoïsme de son mari, elle n’a pas une nature assez mobile, assez passionnée, pour prendre au sérieux l’amour d’Octave ; elle se conduit comme une femme qui va se livrer et raisonne avec le sang-froid d’un juge. Octave n’est qu’à moitié vrai. Il se rencontre certainement dans la génération qui vient de quitter les bancs du collége des roués imberbes qui se vantent d’avoir épuisé toutes les illusions et font gloire de leur indifférence ; mais un roué, n’eût-il que vingt-cinq ans, ne se laisserait pas jouer comme Octave par une femme qui lui donnerait un rendez-vous. Aux prises avec un homme qui rirait de la passion, Rose ne s’en tirerait pas à si bon marché. Un amant sincère peut être battu ; un homme chez qui la raillerie a pris la place de la passion permet bien rarement à une femme de revenir sur ses pas ; comme il garde, en jouant la passion, toute la liberté de son esprit, il n’a pas de peine à lui couper la retraite. Juliette ne manque pas d’ingénuité, mais son caractère est à peine esquissé. L’oncle Bridaine est, à mon avis, le seul personnage qui relève de la comédie ; malheureusement ce personnage n’est qu’épisodique, et, bien qu’il soit vrai, il ne peut donner à l’action la vie qui lui manque.

Toutefois, malgré la sévérité avec laquelle je suis obligé de juger Un Homme de bien, je ne saurais partager le dépit du public. Je reconnais volontiers que cette seconde comédie est moins gaie, moins divertissante que la Ciguë ; il y a pourtant dans Un Homme de bien plusieurs passages traités avec un vrai talent. Pour se tromper ainsi, il faut être capable de mieux faire.

En abordant la réalité, M. Augier avait senti le terrain se dérober sous ses pieds ; averti par cette épreuve, il est rentré dans le domaine de la fantaisie. Dans quel lieu, dans quel temps se passe l’action de l’Aventurière ? Nul ne saurait le dire. L’auteur nomme la ville de Padoue, mais sans ajouter un mot pour caractériser le lieu de la scène. Quant à la date, il ne s’est pas donné la peine de l’indiquer, et je suis loin de blâmer cette omission, car, pour développer l’action qu’il avait conçue, il était parfaitement inutile de marquer le temps et le pays où les personnages allaient se mouvoir. L’Aventurière n’est autre chose que la courtisane amoureuse ; l’auteur a su rajeunir ce sujet, plusieurs fois traité par les conteurs italiens. Il règne dans les trois premiers