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actes une gaieté franche ; quoique les personnages relèvent de la seule fantaisie, quoiqu’il soit impossible de dire où se trouvent les types qu’ils représentent, leurs sentimens et leurs pensées s’expriment avec abondance, avec spontanéité ; rien ne languit, tout marche rapidement, et nous croyons volontiers à l’existence de ce monde imaginaire. Comment M. Augier n’a-t-il pas compris la nécessité de dénouer avec gaieté ce qu’il avait commencé si gaiement ? La comédie s’arrête à la fin du troisième acte ; avec le quatrième commence une pièce nouvelle, où l’auteur n’a pas montré moins d’habileté que dans la première ; mais enfin, quoi qu’on puisse dire pour sa défense, la seconde pièce ne continue pas la première : c’est un drame cousu à une comédie. Dans les trois premiers actes, nous voyons un barbon dupé par une aventurière ; dans les deux derniers, l’aventurière se transforme comme par enchantement ; la femme sans cœur devient une femme passionnée, oublie ses rêves de grandeur pour ne songer qu’à mériter l’affection de l’homme qu’elle aime, et renonce à la richesse pour se réhabiliter. La juxtaposition de ces deux pièces ne pouvait produire une œuvre harmonieuse, et en effet l’Aventurière est loin de satisfaire l’esprit du spectateur ; mais plusieurs parties de cette œuvre sont traitées avec un talent remarquable, et laissent peu de chose à désirer. L’amour d’Horace et de Célie est plein de grace et de fraîcheur ; il y a dans le langage des deux amans un parfum de jeunesse qui charme l’auditoire ; la scène d’ivresse entre Fabrice et don Annibal est écrite avec une verve entraînante, il est bien difficile de l’écouter sans rire. Je sais que don Annibal n’a rien de nouveau, que M. Augier s’est contenté de prendre le matamore de la vieille comédie ; tout cela est très vrai, très évident : pour le découvrir, pour l’affirmer, il ne faut pas un grand fonds d’érudition ; mais l’âge du personnage n’enlève rien au talent avec lequel l’auteur l’a mis en scène. Les divagations de don Annibal, quand il achève sa troisième bouteille, sont des traits pris dans la nature, étudiés avec soin et rendus avec fidélité. La mélancolie qui envahit son esprit, ses pensées sur l’immortalité de l’ame, les questions qu’il adresse à son nouvel ami sur la durée des regrets que lui causerait sa mort, tout, dans cette scène, porte le cachet de la vérité. La manière dont Clorinde gouverne sa dupe n’est pas rendue avec moins d’adresse : donner à croire à Mucarade qu’il n’est pas aimé pour sa richesse, mais pour l’éclat de ses yeux, pour le charme de sa voix, c’est une tentative hardie que Clorinde mènerait à bonne fin, si elle n’avait pas pour adversaire un homme qui connaît de longue main toutes les ruses des aventurières. Sans l’intervention de Fabrice, elle trouverait moyen d’épouser Mucarade. Je n’aime pas, je l’avoue, la scène entre Clorinde et Célie. Il y a sans doute dans cette scène des vers très bien faits, de nobles sentimens traduits dans un