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gracieuse que les deux tresses qui, un quart d’heure auparavant, flottaient sur son dos ; mais tel n’était pas l’avis de la duègne : les proportions démesurées de cet ornement en faisaient à ses yeux le prix principal. Cependant ces apprêts de toilette déplaisaient visiblement à Mateo. L’arrivée du conducteur de chariots semblait être pour la veuve et sa fille un événement de grande importance ; le jeune Cordovès en voulait à celui-ci de ce qu’on eût fait tant de frais pour le recevoir.

Gil Perez entra d’un air radieux ; il tenait sous son bras un petit coffre qu’il déposa sur la table, et s’adressant à doña Ventura : « Ouvrez, dit-il, voici la clé ; ouvrez, regardez et prenez ! » Sans se le faire répéter, la veuve tira du coffre une écharpe de crêpe de Chine et une demi-douzaine de souliers de satin que Perez présenta à Pepa ; celle-ci rougit et remercia de bon cœur. Tandis qu’elle admirait ces cadeaux, Perez offrit à la veuve une de ces jolies chaînes d’or que l’on fabrique au Pérou ; puis, se tournant vers Juancito, qui semblait attendre son tour : « Mon garçon, lui dit-il, cherche sous mon poncho. » L’enfant souleva le poncho et saisit avidement un charmant petit sabre qu’il attacha aussitôt à sa ceinture. Dans sa joie, il sauta au cou du capataz, qui eût sans doute mieux aimé recevoir de sa sœur ce témoignage de gratitude. Après avoir ainsi répandu ses libéralités sur toute la famille, Gil Perez engagea la conversation avec nous. Dans ces pays de mœurs simples et faciles, il suffit de se rencontrer sous le même toit pour être amis. Mateo recouvra bientôt sa bonne humeur ; il lui paraissait de sa dignité de ne pas disputer la place à un conducteur de chariots.

Pendant que nous causions avec Gil Perez, les bouviers se livraient à de joyeux ébats ; les cholas et les postillons de la esquina s’étaient joints à eux pour former un de ces bals improvisés qui durent d’ordinaire une partie de la nuit. C’est ainsi que les gens des pampas se délassent des fatigues de la journée. Gil Perez, craignant quelque désordre, était allé faire sa ronde accoutumée ; il rentra en annonçant qu’on découvrait une grande poussière vers le sud-est. Là-dessus Juancito courut pousser une reconnaissance ; quelques minutes après, il revenait apporter la nouvelle que les muletiers de San-Juan arrivaient. Pepa et sa mère échangèrent un regard rapide ; quant à Perez, il parut fort peu se préoccuper de l’incident. Il se contenta de dire : « C’est sans doute le petit Fernando avec son chargement d’eau-de-vie ! »

Déjà les muletiers avaient fait halte à quelque distance de la poste, ils dessellaient leurs mules et rangeaient en cercle sur la terre les harnais flanqués de deux barils, charge ordinaire de chaque animal. Les bêtes fatiguées, s’étant roulées sur l’herbe, se mirent à brouter çà et là ; les hommes dressèrent une petite tente et allumèrent un feu. Quelques-uns restèrent à cheval ; ils galopaient à droite et à gauche pour empêcher les mules rétives de s’éloigner du camp. Leur chef, que son