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l’autre sous les soleils différens qui ont éclairé les cités ou les imaginations des hommes. Il la retrouve aussi bien dans les légendes brumeuses de la Germanie, dans les fables brillantes de la Grèce, que dans les débordemens de passion des romans modernes. Il montre par là que la foi chrétienne a partout, avant même de paraître, des racines enchevêtrées dans toutes les fibres de l’ame. Il décrit toutes les sinuosités de ce vide immense que son absence laisse dans l’intelligence humaine. Le christianisme, apparaît ainsi non pas comme le développement, mais comme le complément de la raison. Ce n’est pas ce que la raison produit ; c’est ce qui lui manque et ce qu’elle appelle. On peut dessiner le christianisme par les lacunes de la raison, comme le moule laisse confusément apercevoir la pensée de l’artiste avant même qu’un métal ardent vienne y verser la vie et la beauté.

On conçoit combien cette preuve, en quelque sorte négative du christianisme donne plus de force aux preuves positives que M. Nicolas tire ensuite de l’histoire et du caractère miraculeux des faits évangéliques. La révolution qui, a un jour donné, a soumis le monde à une religion nouvelle devient ainsi plus compréhensible en restant aussi merveilleuse. La raison soupirait après la foi : il est naturel qu’elle l’ait aspirée avec avidité ; vrais cette source qui est venue apaiser sa soif n’en reste pas moins cachée dans le ciel. Le développement du fait est plus explicable, son origine est toujours prodigieuse. Ce qui manquait à la raison lui a été donné ; le rapport de l’homme avec Dieu a été rétabli. Les vérités que la vaste intelligence de Platon avait peine à étreindre se sont trouvées proclamées dans la moindre église de village et à leur aise dans le catéchisme du moindre enfant. Elles ont été, pendant des siècles et pendant des siècles de barbarie, étudiées et chéries par des hommes sans lettres qui mouraient pour elles à mille lieues de leur terre natale, il est vrai que ce résultat singulier n’a été obtenu qu’à la condition d’ajouter aux notions de la raison un certain nombre d’autres idées en apparence étranges, de croyances miraculeuses qui semblent, au premier abord, les contredire plutôt que les compléter ; mais l’effet subsiste sous nos yeux : ce sont ces additions mêmes qui ont donné aux vérités déjà aperçues par la raison leur force, leur prise sur les esprits, leur efficacité, sur les ames. Il n’y a, même aujourd’hui de déistes zélés que les chrétiens. La divinité pure n’a d’autres fervens disciples que les adorateurs de Dieu fait chair. Si les dogmes chrétiens ne sont que des erreurs, étranges erreurs à coup sûr, dont la vérité ne peut se passer pour être et pour agir ! nous expliquera-t-on par quelle combinaison chimique la vérité mêlée à l’erreur a pris tout d’un coup une puissance, un mordant pour ainsi dire qui manquait à ses élémens purs ? Dieu a donc eu besoin de se déguiser pour se faire adorer des hommes ! La vérité absolue n’a pu briller qu’au travers de l’illusion,