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même la houille étrangère entrerait librement en France, nos houillères du nord jouiraient d’une prospérité éclatante ; mais le principe de la protection avant tout. La partie vive de tous les outils est en acier ; un gouvernement jaloux de protéger l’industrie favoriserait, peut être par des subsides, l’entrée des aciers de première qualité : on l’entrave par des droits exorbitans. En 1791, le droit sur l’acier fondu était de 61 fr. par 1,000 kilogrammes. Sous la première république, il fut successivement de 6 francs 10 cent. 3 fr., 5 fr. 10 cent., 5 francs 60 cent. L’empire le mit à 99 fr. Il est aujourd’hui de 1,320 fr. par navires français, de 1,413 fr. par navires étrangers ou par terre. La laine brute, dont on fait tant d’articles utiles au pauvre comme au riche, paie 22 pour 100 de sa valeur. Les fils de lin et de chanvre paient un gros droit. Les fils de coton et de laine sont prohibés absolument, à part quelques variétés exceptionnelles qui supportent encore des droits excessifs accueilli chez nous pour être mis en œuvre avec notre goût et recouverts de ces dessins où nous excellons, ces fils ou les tissus blancs qui en proviennent deviendraient pour notre commerce d’exportation une source de richesse, pour nos populations l’occasion d’un travail abondant et fructueux ; on en a fait cent fois l’humble représentation au gouvernement et aux chambres ([1] : la prohibition a été maintenue. L’école protectioniste, qui règne et gouverne, est absolue comme le grand Mogol, et, quand elle a décidé quelque chose, elle est inexorable comme le destin. Les graines oléagineuses, qui fourniraient à nos ateliers de toute espèce les huiles qu’ils consomment, qui feraient prospérer nos huileries, nos savonneries (je ne parle pas encore de la consommation domestique), ont été taxées, retaxées et surtaxées encore. Les instrumens, outils et machines, dont s’assiste le travail, sont grevés d’une manière exorbitante dans les cas rares où ils ne sont pas prohibés formellement. Cela s’appelle protéger le travail national. Comment donc s’y prendrait-on si l’on voulait le faire périr de consomption ? Dans cet enthousiasme d’enchérissement[2], on s’est attaqué à des objets qui ne furent jamais des articles de commerce, et qui ne figurent que dans les officines des nécromans et des sorcières. Les yeux d’écrevisse, les vipères, les dents de loup, les pieds d’élan, les os de cœur de cerf, sont nominativement inscrits au tarif. Ces taxes ridicules et d’autres qui s’attaquent à des objets plus sérieux ne rapportent à l’état que des sommes insignifiantes[3] ; mais on a eu la manie

  1. Notamment à la fin de1850. Les réclamations légitimes des imprimeurs de Mulhouse et des teinturiers de Rouen ont été écartées, quoiqu’ils s’engageassent à réexporter tout ce qu’ils auraient importé.
  2. Le mot est de Benjamin Constant. Il le prononça dans la discussion de la loi de 1821 qui aggrava les droits sur les céréales établis par la loi de 1819.
  3. L’exposé des motifs de la loi des douanes présentée en 1847 établissait que 113 articles du tarif n’avaient produit ensemble que 96,615 francs en 1845 ; 23 autres articles vient donné ensemble 89,749 francs. Une autre catégorie de 163 articles : avait rendu 3,698,516 francs. La radiation de ces 299 articles du tarif aurait permis de diminuer d’une forte somme les frais de gestion et de perception des douanes.