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de la protection. On a voulu que le système protecteur plaçât partout sa griffe. Il semblait que ce fût un spécifique merveilleux pour le bonheur des humains ; il eût manqué quelque chose à la gloire de la patrie ou à sa prospérité si un article de commerce, une substance quelconque eût échappé au bienfait de la protection. On l’a donc répandue à pleines mains, on en a mis partout.

La violation de la liberté est plus manifeste encore quand il s’agit de la consommation. Voilà un manufacturier qui a fait argent de ses marchandises, un avocat ou un médecin qui a reçu ses honoraires ; un ouvrier qui a touché sa quinzaine ; ils veulent nourrir et vêtir leur famille, meubler leur demeure. Ils ont entendu dire que telle contrée fournissait à bas prix des substances alimentaires, de la viande, des salaisons, des fruits ; telle autre certains tissus de laine, ou de coton, ou de lin, ou de soie ; qu’ailleurs on rencontrait des ustensiles et mille articles de ménage de bonne qualité à bon marché. Ils voudraient en faire venir, c’est de droit naturel ; mais voici le système protecteur, qui le leur interdit avec une sévérité dont les lois douanières d’aucun autre pays du monde n’offrent l’exemple ! Le blé paie à l’entrée, la viande paie. Sous l’ancien régime, le bétail était exempt de droits depuis un demi-siècle, quand la révolution éclata[1]. À plus forte raison, la première république et l’empire laissaient venir le bétail de toute espèce sans aucun droit ; la restauration mit, en 1816, un droit de 3 fr. par tête de bœuf ; depuis 1826 c’est de 55 fr. Les viandes salées paient proportionnellement le double. Beurre, graisse, huile, vin, tout ce que l’homme peut mettre dans son estomac est plus ou moins écrasé de droits. Les étoffes, dont il pourrait couvrir son corps ou garnir son logis, sont plus rigoureusement traitées encore. La plupart sont écartées par une prohibition absolue ; de même la faïence, de même les verres et cristaux ; de même la tabletterie, de même l’innombrable variété des articles qui composent la quincaillerie de même les articles

  1. Dans les provinces formant ce qu’on appelait les cinq grosses fermes, les seules pour lesquelles il existât en matière de douanes quelque chose qu’on puisse appeler le droit commun, un bœuf venant de l’étranger payait avant le tarif célèbre de 1664, depuis 1638, 15 sous. Le tarif de 1664 porta le droit à 3 livres ; le 2 septembre 1669, on l’éleva à 6 livres. À partir du 1er mai 1689, il fut mis à 12 livres ; mais, le 13 mai 1698, il fut reluit à 3 livres. Le 1er décembre 1712 il fut relevé à 12 livres mais le 4 septembre 1714, il fut complètement aboli. Enfin, après quelques alternatives de liberté complète et de droits plus ou moins modérés, le 15 mai 1730, la libre entrée fut rétablie. (Histoire du Tarif, de Dufresne de Francheville, tome II, page 117.) Le blé était de même exempt de droits d’importation sous l’ancien régime, mais il y avait des provinces qui imposaient le blé venant d’autres provinces.