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d’un puits, à l’ombre d’une touffe de bambou. C’était Mallika, la fille du jardinier : elle dormait paisiblement, la tête appuyée sur le revers de sa main, dans l’attitude gracieuse et naturelle qu’eût choisie un peintre pour représenter le sommeil sous les traits d’une femme.

— Enfin, se dit Yousouf, la voilà dans tout son éclat, cette fleur charmante dont j’attendais depuis trois années l’épanouissement! Que je meure si un autre que moi avance la main pour la cueillir!

Comme il se parlait ainsi à lui-même, il aperçut, de l’autre côté de l’enclos où reposait Mallika, un Hindou qui s’avançait lentement à la hauteur des arbres, assis sur le dos d’un éléphant. Quand il fut en face de la jeune fille, l’Hindou donna un petit coup de son crochet de fer sur le cou de l’animal. La pesante bête, allongeant sa trompe, saisit à l’extrémité d’une branche une fleur rouge de cassie, la balança en l’air à plusieurs reprises, et la fit voler droit sur le front de Mallika. Celle- ci s’éveilla en sursaut, puis elle referma les yeux avec un sourire.

— C’est toi, mon bon Soubala, dit-elle à demi-voix; merci de ton présent. Tiens, prends cela pour ta peine. — Elle jeta à l’éléphant une grosse banane jaune comme l’or, que l’animal reçut à la volée et reporta dans sa large bouche avec un visible plaisir.

— Et moi, dit l’Hindou, n’aurai-je rien, pas même une parole d’amitié? On a des douceurs pour l’éléphant, et on ne daigne pas même regarder le pauvre mahout[1] !

— Soubala, répliqua la jeune fille en s’adressant toujours à l’intelligent animal, dis à Chérumal, ton maître, que le meilleur moyen de se faire bien voir d’une jeune fille, ce n’est pas de venir sans raison interrompre son sommeil. Dis-le-lui, Soubala, toi qui es un animal bien élevé, tu m’entends?

L’éléphant fit trois saluts avec sa trompe, comme pour prouver qu’il avait compris, et s’agenouilla aussi gracieusement que le permettait la pesanteur de son corps. A la voix de son conducteur, — que le froid accueil de Mallika n’encourageait point à demeurer plus long-temps à cette place, — l’éléphant se releva pour continuer sa route. A plusieurs reprises, le mahout Chérumal se retourna; il espérait, mais en vain, que la jeune fille rachèterait ses dures paroles par un geste amical. L’éléphant Soubala, lui aussi, regardait de côté; on eût dit qu’il s’éloignait à regret de la belle Mallika; son instinct lui avait appris qu’il inspirait à celle-ci l’affection qu’elle refusait à son maître. Enorgueilli de la distinction flatteuse dont il était l’objet, il agitait avec bruit ses vastes oreilles, tout en suivant les sentiers trop étroits qu’il emplissait de son énorme masse.

Pendant que cette scène inattendue se passait sous ses yeux, le

  1. On appelle ainsi dans l’Inde le conducteur d’un éléphant.