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nakodah Yousouf, caché derrière la haie, était demeuré en observation. Il avait eu tout le temps de contempler les traits gracieux de la jolie Hindoue qui posait naïvement devant lui. Au moment où le mahout disparut au tournant du sentier, quand il n’entendit plus que le craquement lointain des branches brisées au passage par le colossal éléphant, il écarta doucement les buissons et se montra. Cette fois Mallika s’éveilla tout de bon ; elle ouvrit ses grands yeux voilés de longs cils et doux comme ceux de l’antilope. Il ne lui échappa ni un cri de terreur, ni un geste d’indignation. D’un mouvement rapide, elle ramena sur sa poitrine l’écharpe qui avait glissé pendant son sommeil, et recula lentement jusqu’au seuil de sa maison. Immobile et sérieuse, elle semblait, par la vivacité de son regard, en interdire l’approche au trop hardi nakodah. L’apparition de l’étranger faisait sur elle une impression tout opposée à celle que lui avait causée la présence du mahout. En proie à une émotion qui colorait d’une teinte rose ses joues plus brunes que le fruit du marronnier d’Inde, elle semblait dire à l’Arabe : Que voulez-vous? D’où venez-vous? Celui-ci marcha hardiment vers Mallika; il la salua avec un imperceptible sourire, en portant sa main à son front, et déposa près d’elle, sur la margelle du puits, un bracelet d’or. Au moins n’avait-il pas, comme le conducteur d’éléphant, interrompu sans raison le sommeil de la jeune fille. Il croyait que le plus court chemin pour arriver au cœur d’une pauvre et ignorante fille de la côte de Malabar, c’était d’agir en amant magnifique. A son présent, Yousouf ne joignit point la pantomime sentimentale dont l’eût accompagné un berger de Boucher. Sans rien dire, il se retira en saluant une seconde fois, comptant que le joyau précieux, sur lequel étincelaient en gerbes resplendissantes les rayons du soleil, se chargerait de parler pour lui.

Comme un oiseau attiré par la vue d’un beau fruit mûr, Mallika se pencha sur le bracelet. Jamais si riche joyau n’avait ébloui son regard. Elle le contemplait avec un ravissement mêlé de surprise, et hésitait encore à s’en saisir. Après l’avoir admiré quelques instans, elle le passa à son bras, puis le retira précipitamment pour le cacher sous son écharpe. Le grognement des buffles lui annonçait le retour de son père, qui venait de labourer un coin reculé de l’enclos. Le vieux jardinier, courbé par l’âge, ramenait donc lentement son attelage. Affaissées sur leurs courtes jambes, le mufle pendant, les patientes bêtes s’arrêtèrent devant la cabane; elles attendaient avec résignation qu’il leur fût permis d’aller se rafraîchir dans l’eau des étangs, où elles restent plongées tant que dure la grande chaleur. Mallika s’empressa d’aider son père à dételer les buffles. En proie à une agitation extraordinaire, elle éprouvait le besoin de se donner du mouvement. A son insu, elle obéissait aussi au désir de plaire, comme si d’autres regards