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Lund[1], remarqua que les trois espèces les plus estimées parmi celles qui habitent les lacs de cette contrée, la brème, la perche et le gardon, attachent leurs œufs près du rivage, soit aux rochers, soit plutôt aux ramilles de sapin et aux cages d’osier qu’on place dans l’eau pour les prendre. Ces œufs sont ainsi détruits par les pêcheurs ou dévorés par les insectes, les oiseaux, et surtout les poissons de proie, si bien, dit-il, que c’est à peine si sur dix un seul parvient à échapper. Il comprit que l’interdiction de la pêche à l’époque de la fraie n’empêcherait que très imparfaitement cette énorme destruction. Pour protéger la multiplication des poissons, il imagina un autre moyen, qui s’accorde complètement, comme il le remarque lui-même, avec les habitudes de ces animaux, le mode et les lois de leur reproduction, aussi bien qu’avec les règles de la logique et de notre propre devoir. Il fit faire de grandes caisses en bois, sans couvercle, percées de petits trous et munies de roulettes pour permettre de les descendre aisément dans l’eau. Il garnit l’intérieur de rameaux de sapin et y introduisît une certaine quantité de mâles et de femelles pris au moment de la fraie, en ayant soin de les séparer par espèces et de leur donner suffisamment d’espace. Après les y avoir laissés deux ou trois jours, c’est-à-dire le temps nécessaire à l’accomplissement de la ponte, il retira tous les poissons à l’aide d’un truble, et disposa les branches de manière à ce qu’elles ne fussent pas trop serrées les unes contre les autres. Les œufs arrivèrent à maturité au bout de deux semaines ou un peu plus, selon le degré de chaleur, et une multitude de jeunes poissons en sortit. Ce procédé très simple réunissait toutes les conditions nécessaires au succès, et nous ne doutons pas qu’on en puisse retirer de grands avantages pour la propagation des espèces dont les œufs sont adhérens. Lund réussit aussi à transporter d’un lac dans un autre des rameaux couverts de frai qu’il plaça dans un vase d’eau, en évitant seulement de les exposer au contact de l’air. En vue d’une première application de son procédé, il avait mis séparément dans trois grandes caisses, avec un petit nombre de mâles, cinquante brèmes femelles, qui lui donnèrent 3,100,000 éclosions ; cent perches de la grande espèce produisirent 3,215,000 éclosions, et cent gardons donnèrent 4 millions de petits. Il obtint donc de la sorte plus de 10 millions de jeunes poissons qui se dispersèrent dans le lac de Raexen. Si l’on avait procédé en grand de la même manière sur tous les lacs de la Suède, il en serait résulté, dit-il, une véritable bénédiction pour le pays.

Les circonstances favorables que Lund avait su déterminer lui permirent d’observer quelques traits du développement de l’embryon. Un naturaliste allemand, Bloch[2], entra un peu plus avant dans cette voie en employant un moyen semblable. Il fit prendre dans la Sprée des herbes aquatiques couvertes d’œufs de perche, de brème, de rotengle, etc., et les garda dans un vase de bois dont il renouvelait l’eau tous les jours. Au bout d’une semaine, il obtint plusieurs milliers de petits poissons ; mais il remarqua que les œufs n’étaient pas à beaucoup près tous fécondés, que ceux qui l’étaient restaient

  1. Von Pflanzung der Fische in inlandischen Seen - Mémoires de l’Académie des Sciences de Suède, t. XXIII. 1761. Traduction allemande de Kastner, p. 184.
  2. Marc Eliezer Bloch, Ichthyologie générale et particulière, première partie, p. 94, 1795.