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transparens et jaunes, et que ceux qui ne l’étaient pas devenaient de jour en jour plus troubles et plus opaques. Bloch conclut qu’en transportant le frai pris sur des herbes, ainsi qu’il l’avait fait lui-même, on empoissonnerait très facilement et à très bon marché les lacs et les étangs ; mais il ne fit aucun essai, et, comme on le voit, n’imita Lund que très imparfaitement.

Pendant que l’ingénieux prédécesseur de Bloch cherchait les moyens d’accroître la population des lacs de Suède, un lieutenant des miliciens de Lippe-Detmold en Westphalie, J.-L. Jacobi, imaginait de féconder artificiellement les œufs de poisson, et essayait d’appliquer ce procédé au repeuplement des rivières et des étangs. À la vérité les curieux résultats de ses expériences furent consignés dans une lettre que le Magasin de Hanovre ne publia qu’en 1703[1] ; mais dès 1758 Jacobi avait adressé à ce sujet à l’illustre Buffon des notes manuscrites que Lacépède a mentionnées dans le premier volume de son Histoire naturelle des poissons, et dans le courant de la même année il avait confié une autre rédaction de son travail au comte de Holstein, grand-chancelier de Berg et de Juliers. Golstein en fit faire une traduction latine qu’il remit à M. de Fourcroy, directeur des fortifications de la Corse, et l’un des ancêtres du célèbre chimiste. C’est cette version qui a été publiée pour la première l’ois en français, en 1773, dans le tome III de l’Histoire générale des Pêches, par Duhamel-Dumoncean. Duhamel ne nomme pas Jacobi ; mais les faits contenus dans l’un et l’autre mémoire étant parfaitement identiques et exposés dans des termes semblables, il est impossible de ne pas reconnaître que ces deux écrits émanent du même auteur. La date de la première communication garantit complètement les droits de Jacobi, que confirment d’ailleurs les citations de Lacépède et une communication faite en 1764, par Gleditsch, à l’Académie des sciences de Berlin. Nous entrons dans ces détails, parce que, le nom de Golstein ayant été seul imprimé dans l’Histoire des Pêches, beaucoup de naturalistes lui ont attribué à tort le mérite de la découverte des fécondations artificielles.

Les essais de Jacobi ont porté sur deux des espèces de poissons les plus estimées, la truite et le saumon. Il nous apprend lui-même qu’avant d’obtenir de bons résultats il a dû employer seize années en recherches préparatoires et en tentatives incomplètes. Il remarqua d’abord que, depuis la fin de novembre jusqu’au commencement de février, les truites se réunissent dans les ruisseaux et se fixent sur le gravier où elles frottent leur ventre de manière à laisser de grandes traces. Les femelles se débarrassent ainsi de leurs œufs, sur lesquels les mâles répandent leur laitance. Il fit donc pêcher à cette époque des truites prêtes à frayer ; prenant tour à tour une femelle et un mâle, il pressa légèrement leur abdomen au-dessus d’un vase à demi rempli d’eau, et y fit tomber les produits mûrs de l’un et de l’autre sexe, puis il agita le tout avec la main, afin de rendre le mélange plus complet, et d’assurer ainsi la fécondation de tous les œufs. Ces œufs une fois fécondés, il fallait réunir les conditions convenables à leur développement, et pour cela Jacobi imagina de les placer, dans une boite, grillée, sur le trajet d’un petit ruisseau d’eau vive. Il fit construire une grande caisse ; vers l’une de ses

  1. Elle se trouve aussi in extenso dans William Yarell, History of British fishes, t. II, p. 87,1841, et à la fin des Instructions pratiques sur la Pisciculture, par M. Coste, 1853.