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l’habileté individuelle aura toujours une grande influence sur les résultats. Nul doute aussi qu’une pratique prolongée et suffisamment étendue n’arrive bientôt à perfectionner encore l’application des nouvelles méthodes et ne réduise beaucoup les chances d’insuccès. Tout fait donc espérer que dans un avenir prochain la pisciculture aura droit de cité parmi les sciences utiles et qu’elle est destinée à résoudre un des termes importons du grand problème de la vie à bon marché.

Ce résultat si désirable serait singulièrement hâté, si le gouvernement se décidait à prendre quelques mesures énergiques. Il faudrait qu’il fit réviser complètement par des hommes compétens la législation des pêches fluviale et marine, et fit opérer la fécondation artificielle dans toutes les eaux douces de la France, en même temps qu’un service d’observation et de surveillance serait organisé sur nos côtes. En émettant ce vœu, nous ne sommes que l’écho de tous les savans et de tous les économistes qui ont touché à cette question.

Déjà, à la vérité, l’état a fait un premier pas dans la voie où nous souhaitons de le voir entrer complètement. Il a décrété la piscifacture d’Huningue. Nous sommes loin de nier les services que cet établissement peut rendre par la suite ; mais il est de toute évidence qu’il ne suffira jamais au repeuplement des eaux de la France tout entière, et qu’il ne répond que très imparfaitement aux besoins présens de la pisciculture. Si de trop grands obstacles s’opposent à la mise en œuvre de cette vaste expérience sur toute la surface du pays, il serait du moins facile à l’état de l’entreprendre dans des proportions plus restreintes, bien qu’encore considérables, et sans grever le budget d’aucune charge nouvelle. Il n’aurait pour cela qu’à profiter des ressources que lui offre l’administration des eaux et forêts. En effet, cette administration dispose d’une étendue de canaux et de rivières qui atteint presque 8,000 kilomètres, et elle possède un personnel tout prêt et déjà rompu aux diverses pratiques de l’aménagement des eaux. Le nombre de ses simples garde-pêches s’élève à quatre cent vingt-sept, sans compter les gardes généraux, sous-inspecteurs et inspecteurs qui les dirigent, et qui tous sont préparés par leurs études antérieures à des applications de ce genre. Voilà donc un service largement organisé qui se prêterait admirablement à des essais de pisciculture sur une grande échelle, et qui même ne serait point par-là détourné de ses attributions naturelles.

Il faut espérer qu’on ne tardera pas à être frappé de ces faciles avantages, et qu’on s’efforcera d’obtenir au moins une partie des résultats que promet la nouvelle industrie. Livrés à leurs propres ressources, les propriétaires n’ont pas hésité à tenter les risques de l’expérience ; mais à côté de leurs efforts isolés et restreints, n’est-ce pas à l’état qu’il appartient de faire prospérer et d’étendre les méthodes imaginées par Jacobi, et que les savans français ont déjà portées à un haut degré de perfection ?


JULES HAIME.