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des produits mûrs. Si cette sortie offre quelque difficulté, on peut la provoquer en passant le doigt sous le ventre, mais sans aucun effort. Le mélange simultané ou presque simultané des œufs et de la laitance est nécessaire dans la plupart des cas, car chez certains poissons, comme la truite, les animalcules de la laitance ne vivent pas même une minute, et chez d’autres, comme la carpe, l’enveloppe mucilagineuse de l’œuf se gonfle rapidement dans l’eau, et s’oppose ensuite à l’imprégnation. Pour ce dernier motif, il faut toujours s’abstenir de laver les œufs avant la fécondation, ainsi que quelques personnes avaient conseillé de le faire.

Les œufs une fois fécondés seront placés dans un appareil semblable à ceux de M. Coste et de M. Millet : mais il nous parait toujours préférable, lorsqu’on peut le faire, d’employer le double tamis ou incubateur flottant de ce dernier expérimentateur. On opère alors la fécondation dans la partie inférieure de ce tamis, placée au milieu d’un baquet plein d’eau, et après l’avoir fermé avec le couvercle, on transporte le tout à la rivière qu’on veut ensemencer : de la sorte, le frai ne subit aucun changement d’eau depuis sa sortie du ventre de la femelle jusqu’au terme de son développement. Quand les œufs sont libres, on les laisse tomber au fond du tamis. Si l’on a affaire à des œufs adhérens, comme ceux de la carpe, de la tanche ou du barbeau, on a soin d’introduire préalablement dans le tamis des plantes aquatiques ou des brindilles. Le petit appareil est muni de flotteurs et retenu à des piquets par une corde, avec laquelle il est facile de le ramener au rivage, quand on veut le visiter. Après que les jeunes poissons sont éclos, et que leur vésicule ombilicale est complètement résorbée, on ouvre le tamis et on les répand ainsi dans les lieux mêmes où ils doivent vivre. On choisit pour cela des endroits peu profonds que préfère généralement l’alevin et que ne fréquentent pas les gros poissons, ou bien des viviers attenant à des cours d’eau. Les poissons de ce premier âge ont une grande agilité et échappent ordinairement aux poursuites de leurs ennemis en se blottissant entre les cailloux et en se cachant sous les herbes ou les racines des arbres. Ils se nourrissent alors naturellement de lymnées, de planorbes, de petits vers ou du frai des grenouilles, mais bientôt il devient utile de leur jeter aussi des détritus de boucherie et de cuisine, et généralement, comme l’a conseillé M. Coste, toutes les substances animales qui ne sont pas utilisées. Il paraîtrait toutefois que quelques-unes de ces substances peuvent devenir nuisibles aux poissons, et M. Sivard de Beaulieu a remarqué que ses truites mouraient toujours après avoir mangé des salamandres terrestres. La putréfaction des matières qui ne sont pas dévorées n’offre pas d’inconvéniens dans une masse d’eau fréquemment renouvelée comme l’est celle d’une rivière, tandis que pour cette raison et pour beaucoup d’autres l’alimentation artificielle des jeunes poissons dans d’étroits réservoirs est presque impraticable. On devra donc toujours les disséminer après la résorption de leur vésicule, sans chercher à les élever péniblement dans de petits appareils.

Ces diverses opérations sont, comme on le voit, très simples et très faciles, et peuvent être menées à bonne fin par tout le monde en peu de temps et à peu de frais ; mais il est évident que la réussite dépend beaucoup du tact et de la prévoyance de l’opérateur, et qu’ici, comme dans toutes les industries,