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que M. de Morgny, qui chante ses Échos du Cœur sur un mode plus doux. M. Bernis a eu une idée singulière, celle de grouper un certain nombre de poèmes sous le titre des différentes rues de Paris. C’est de la poésie de grande voirie. On y trouve des vers faciles, peu d’invention, peu d’originalité et des personnages que l’auteur nous montre truffés de caprices. Quant à l’auteur des Échos du Cœur, ses vers ne différent point essentiellement sans doute de tous ceux qui ont paru sous le même titre depuis quelque trente ans. Les Poésies françaises d’une Italienne ont du moins une originalité, elles sont l’œuvre d’une étrangère écrivant dans notre langue et maniant les rhythmes français sans effort. La mélancolie, l’illusion, le désenchantement, ce sont là des thèmes souvent reproduits ; l’auteur, Mlle Sasserno, les développe, sinon avec nouveauté, du moins avec une certaine mollesse italienne qui n’est point sans grâce. Piémontaise d’origine, Mlle Sasserno montre l’influence qu’exerce encore la langue de la France dans ces pays où elle a régné, et auxquels elle ne se rattache plus que par sa sympathie pour leur indépendance. C’est le signe des transformations de la politique, qui en est aujourd’hui à d’autres préoccupations.

Quelque gravité qu’il y ait dans les questions nouvelles qui sont venues prendre une si grande place en Europe, de quelque hauteur qu’elles dominent les faits secondaires, il n’en reste pas moins dans chaque pays des incidens qui offrent parfois comme un reflet de leur caractère et de leur esprit politique. L’Angleterre elle-même, tout absorbée qu’elle soit par les affaires de la guerre, vient d’avoir un épisode de ce genre. C’est une discussion des plus vives qui a eu lieu dans la chambre des communes au sujet du bill pour l’admission des Juifs dans le parlement. Ce qu’il y a de plus particulier, c’est que ce bill est périodiquement présenté depuis longtemps. Tous les ans, il est voté par la chambre des communes, et tous les ans aussi la chambre des lords l’écarte avec la même régularité. Cette fois, la chambre des communes s’est chargée elle-même de repousser le bill, dont le vote du reste ne changeait rien en fait à la position des Juifs, puisqu’il n’arrivait jamais à passer en loi. Le cabinet, s’est trouvé en minorité de quatre voix sur un point presque personnel à lord John Russell, promoteur et défenseur habituel du bill. On sait que, pour arriver à l’admission des Juifs dans le parlement, il s’agissait de modifier pour eux une partie de la formule du serment qui constitue un engagement « sur la vraie foi d’un chrétien. » Si les Juifs eussent été seuls en question, peut-être le bill eût-il été adopté comme d’habitude ; mais lord John Russell y avait joint la suppression d’une autre formule du serment encore imposée aux catholiques, et par laquelle ceux-ci s’engagent à ne rien faire qui puisse porter un dommage à l’église établie, en d’autres termes à l’église protestante. Enfin lord John Russell avait profité de la circonstance pour faire disparaître du serment une autre formule par laquelle les membres du parlement jurent de ne pas reconnaître les Stuarts comme rois d’Angleterre. Lord John Russell avait jugé sans doute que les Stuarts n’étaient pas essentiellement dangereux aujourd’hui. Il parait cependant que toutes ces suppressions n’ont pu trouver grâce auprès des consciences timorées. La discussion a été une occasion nouvelle de sorties contre le pape et contre Rome. M. Disraeli s’est levé pour combattre le ministère, tout en défendant