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les Juifs, et finalement le bill s’est trouvé rejeté aux grands applaudissemens de l’opposition ; lord John Russell en est pour un échec personnel. Si cet incident indique à quel point en est toujours l’esprit religieux en Angleterre, il peut montrer aussi que dans des circonstances différentes, où la guerre ne dominerait pas tout, le ministère pourrait trouver plus d’une difficulté dans le parlement. Aujourd’hui de tels faits disparaissent nécessairement dans l’ensemble d’une situation qui tient à des considérations plus puissantes.

Ce mouvement singulier et toujours actif de la vie des peuples peut revêtir sans doute bien des formes, les unes saisissantes, les autres plus simples et plus naturellement propres à chaque pays. Ce n’est pas sur un seul point qu’il se poursuit, c’est dans toutes les régions du globe, dans le Nouveau-Monde comme dans l’ancien. Après tout, sous quelque forme et sur quelque théâtre que ce soit, — sur le Danube et dans la Mer-Noire ou aux États-Unis et dans l’Amérique du Sud, — n’est-ce point toujours la question de la civilisation qui s’agite ? Seulement l’importance des intérêts, la nature des événemens, le caractère moral des crises qui éclatent, varient d’un continent à l’autre. Aussi bien, aux États-Unis même il y a une question qui pourrait avoir son importance dans l’état actuel de l’Europe, c’est celle de ce navire américain, le Black-Warrior, qui a été l’objet des sévérités de la douane de Cuba. Bien loin de s’apaiser, cette affaire semble plutôt s’aggraver par l’insistance du cabinet de Washington à réclamer des réparations que l’Espagne se croit fondée à ne point accorder. On a parlé aux États-Unis de bloquer Cuba ; en Espagne, on songe naturellement à défendre cette possession, de telle façon qu’il pourrait bien en sortir quelque conflit, à moins qu’une intervention médiatrice ne vienne à propos dénouer cette difficulté.

Quant à l’Amérique espagnole, il y a toujours malheureusement un certain nombre de ces pays qui ne cessent de flotter entre l’insurrection de la veille et l’insurrection du lendemain, lorsque la révolution n’est point permanente. Au Mexique, le général Santa-Anna en est à se débattre contre un soulèvement à la tête duquel s’est placé le général Alvarez, tandis que la république se trouve démembrée par le traité Gadsden, signé avec les États-Unis. Au Pérou, voici déjà quelques mois qu’une insurrection tient le pays en attente. Cette insurrection, commencée par un des hommes influens de Lima, M. Elias, a fini par avoir pour chef le général Castilla, ancien président, qui est à Aréquipa, à la tête des forces soulevées. Le général Castilla, par tous les souvenirs d’une administration éclairée et honnête, exerce une grande influence au Pérou. Il n’est donc point impossible que le président actuel, le général Echenique, ne se trouve menacé, d’autant plus que jusqu’ici il n’a opposé qu’une assez visible impuissance à l’insurrection. Mais de tous les pays de l’Amérique du Sud, les états de la Plata sont peut-être ceux dont la situation est la plus singulière. Il y a plus de deux ans déjà que Rosas vaincu a été obligé de quitter Buenos-Ayres. Qu’est-il résulté de cet événement, qui semblait devoir ouvrir l’ère d’une régénération de ces contrées ? On en est à compter les révolutions, les guerres civiles qui se sont succédé, et aujourd’hui encore la Confédération Argentine se trouve dans l’étal le plus bizarre. Douze provinces forment un corps organisé sous la présidence du général Urquiza, qui a été installé le 6 mars 1854 à Santa-Fé. C’est dans la ville de Parana, déclarée territoire fédéral, qu’est le siège du gouvernement. De son côté, Buenos-