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Ayres forme un état à part. Elle s’est donné une constitution, elle a repris l’entier usage de sa souveraineté intérieure et extérieure, en attendant qu’elle la délègue à un gouvernement général, — et chose étrange, depuis cette séparation entre Buenos-Ayres et les provinces, une sorte de paix s’est rétablie, ce qui ne veut point dire qu’elle soit durable. Après deux ans et plus, le gouvernement de Buenos-Ayres a mis en cause l’ancien dictateur Roses ; on a instruit son procès, et il sera certainement condamné. Seulement Buenos-Ayres se trouvera-t-elle mieux en mesure de fonder un ordre régulier. La Bande Orientale n’est guère plus heureuse que la République Argentine. Il y a déjà quelques mois que, le président Giro était renversé à Montevideo. Le pouvoir restait aux mains de quelques officiers, dont l’un était le général Rivera, l’ancien antagoniste de Rosas ; un autre était le colonel Venancio Florès. Rivera est mort, et le colonel Florès a été nommé président ; mais tel était le désordre du pays, que tous les partis se sont unis pour demander au Brésil d’intervenir, et c’est ce qu’a fait le cabinet de Rio-Janeiro en envoyant un corps d’occupation de quatre mille hommes, qui devait entrer à Montevideo le 30 mars. Voilà où en sont en ce moment quelques-unes de ces républiques sud-américaines, déchirées par les insurrections, vivant dans une espèce de dissolution, ou contraintes d’invoquer l’intervention de la force étrangère pour se donner un peu d’ordre et de paix ! ch. de mazade.



REVUE DRAMATIQUE
Que dira le monde ? – Le Marbrier

À quelques exceptions près, deux choses nous frappent dans les œuvres du théâtre actuel, et parmi celles-là même qui, soit par le choix du sujet, soit par le nom de l’auteur, éveillent un moment la curiosité : d’abord une stérilité d’invention qui, comme toutes les pauvretés vaniteuses, se déguise tant bien que mal en vivant d’emprunt, en se, parant du bien d’autrui, en maraudant partout où se révèlent un semblant d’idée et un semblant de succès ; ensuite une propension singulière à dépayser la morale et la vérité dramatiques en les plaçant tantôt en-deçà, tantôt au-delà du vrai et du bien, et en demandant au spectateur bénévole de se prêter également à ces deux extrêmes, d’accepter ou ce paradoxe d’indulgence, ou ce paradoxe de rigorisme. Ainsi, pour nous en tenir aux plus récens exemples, l’auteur du Marbrier, autrefois plus inventif, n’eût certainement pas eu l’idée de sa pièce, si la vogue, un peu exagérée peut-être, de la Joie fait peur ne lui eût donné l’envie de traiter un sujet analogue, de chercher le pendant ou la contrepartie de cette douleur maternelle prête à se changer en une joie meurtrière. D’autre part, tandis que la poétique de nos drames et de nos romans les plus applaudis ouvre aux pécheresses de tous les rangs et de tous les étages non-seulement les inépuisables trésors du pardon céleste, mais la réhabilitation passionnée des cœurs généreux, et même les bénéfices immérités d’une amnistie mondaine, voici un jeune écrivain, moraliste apostille déjà par des récompenses académiques, qui prête à la société des rigueurs insolites, et à cette impérieuse question : Que dira le monde ? répond de la façon la plus