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ou d’extravagance l’homme qui, après avoir bu aux philtres de la passion romanesque, hésiterait à regarder ces adolescentes comme le dernier mot des félicités et des tendresses humaines. Or, si l’on a pu remarquer qu’il y a deux manières d’être inexact, arriver trop tôt ou trop tard, ne peut-on pas dire aussi qu’il y a deux façons d’être immoral, trop accorder ou trop refuser à l’imagination et au cœur, placer le but trop au-dessous ou trop au-dessus de l’honnêteté véritable et de la juste mesure de nos forces ? N’y a-t-il pas lieu de se métier quelque peu de ces réactions subites qui saisissent, à certains momens, les littératures mal réglées, et font succéder d’excessives austérités à d’excessives tolérances, donnant ainsi à la glorification de la vertu le même air de sophisme qu’à l’apothéose du vice ? Ces réflexions, que suggère presque à chaque scène la pièce de M. Ernest Serret, nuisent également à l’effet dramatique qu’il a voulu produire et à la leçon morale qu’il a prétendu donner, et tout en avouant que quelques parties de son œuvre sont traitées avec habileté, et qu’il est parvenu, sinon à convaincre, au moins à intéresser, nous sommes forcé de résumer notre opinion sur sa comédie en rappelant qu’elle nous a fait reflet d’un paradoxe étayé sur des lieux communs.

Que dire et que penser du Marbrier ? Nous aurions vivement désiré n’avoir qu’à approuver ; car il y a quelque chose de plus triste que de discuter un talent nouveau, c’est de critiquer un talent vieilli ; mais, en vérité, la plus robuste indulgence reculerait devant cette grossière ébauche qui commence par serrer le cœur et finit par le soulever. Le Marbrier, tout le monde l’a reconnu, a été inspiré par la Joie fait peur. Mme de Girardin, en décrivant avec une exactitude trop anatomique la douleur d’une mère qui croit que son fils est mort, et la progression insensible par laquelle on conduit cette âme brisée du désespoir au doute, du doute à l’espérance, et de l’espérance à la certitude, avait eu au moins le bon goût de ne mêler à cette étude artificielle, mais émouvante, aucun élément hétérogène, de ne grouper auprès de ce jeune homme tour à tour pleuré et ressuscité que les tendresses d’une mère, d’une sœur, d’une fiancée et d’un vieux serviteur. L’idée primitive se maintient, le drame se noue et se dénoue dans toute sa simplicité. Voici ce que l’auteur du Marbrier a fait de la contre-partie de cette idée. Un père de famille revient dans sa maison après dix ans d’absence pendant lesquels il a rétabli sa fortune. Quand il est parti, son fils et sa fille étaient encore deux enfans, et d’avance son cœur bondit de joie en songeant qu’il va se dédommager, dans une première étreinte, du long exil, de la longue immolation de son amour paternel. Trois jours avant son arrivée, sa fille meurt, et, au lever du rideau, sa femme et son fils en grand deuil se demandent avec effroi comment ils s’y prendront pour le préparer au coup affreux qui l’attend. M. de Gervais, — c’est son nom, — a écrit qu’il arriverait le jour même. En ce moment survient une pauvre orpheline vivement recommandée par un ami intime de la famille, et qui espérait devenir l’institutrice de celle-là même qu’on pleure. Elle est à peu près du même âge ; elle s’appelle Clotilde, comme Mlle de Gervais. Qu’elle consente à mettre une de ses robes, et il y aura un instant d’illusion pour la mère désolée, bien qu’invraisemblable et d’une teinte par trop sépulcrale, cette scène est touchante et faisait mieux augurer du reste de la pièce.