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qui étaient heureux enfin de pénétrer sans fatigue dans le labyrinthe de ces compositions étranges et colossales. On ne pourra plus maintenant arguer de l’ignorance du public pour juger les derniers quatuors de Beethoven, et les fanatiques auront beau s’exclamer et se frapper la poitrine, leur dieu n’est point supérieur à la raison, dont il enfreint assez souvent les lois. Grâce aux efforts de MM. Maurin et Chevillard, Beethoven n’a plus de mystères pour nous, ni pour tout homme de bon sens qui, en accordant au génie la plus grande liberté possible, veut cependant pouvoir comprendre ce qu’il doit admirer.

Parmi les pianistes qui se sont fait entendre cet hiver à Paris, l’un des plus remarquables est sans contredit M. Adolphe Fumagalli. M. Fumagalli est Italien ; il est né à Milan, où il a fait ses premières armes. Jeune encore (il n’a pas trente ans), doué d’une physionomie originale qui annonce la vivacité de son esprit, M. Fumagalli porte dans l’exécution de quelques fantaisies de sa composition la fougue, la netteté et le brio d’un improvisateur. La bravoure de sa main gauche est vraiment prodigieuse. En lui entendant exécuter des variations sur Robert le Diable sans le concours de la main droite, qu’il tenait gantée pour mieux convaincre l’auditoire de son inutilité, on aurait dit un prestidigitateur accomplissant sans le moindre effort les plus grandes difficultés de mécanisme. Il y a quelque chose de la virtuosité de M. Listz dans M. Fumagalli, et nous voudrions pouvoir affirmer aussi qu’il n’y a pas les mémes défauts dans ses compositions légères. Que M. Fumagalli ne perde pas ses belles années à courir ainsi des aventures, et, sans renoncer au plaisir de produire de temps en temps Quelques morceaux de sa composition, qu’il se hâte de mettre son beau talent au service de la musique des maîtres. Les sonates et les concertos de Weber, qui ont fait la réputation de M. Listz, pourraient également offrir à M. Fumagalli l’occasion de se classer au premier rang des pianistes de notre époque.

M. Henri Herz est revenu au bercail après avoir visité les deux Amériques, où il a été le héros de mille aventures musicales. Il a repris la direction de sa classe au Conservatoire, où il est professeur de piano depuis une quinzaine d’années. M. Herz, dont la célébrité précoce remonte à l’année 1820, est l’un des premiers virtuoses qui aient propagé ce style facile et brillant qui caractérise l’école moderne. Ses compositions légères ont eu une vogue étonnante, et son enseignement a été fécond en bons résultats. Sans être un musicien bien profond ni très passionné, M. Herz a du goût et l’habitude d’écrire, et son jeu n’a rien perdu de la fluidité élégante qui lui a valu tant de succès. Le concerto (le cinquième) à grand orchestre de sa composition qu’il a fait entendre cet hiver renferme plusieurs parties remarquables, l’andante surtout, qui est heureusement traité. Il y a plus d’une analogie entre le talent de M. Herz et celui de M. de Hériot, le célèbre violoniste. Ils sont de la même époque, et tous deux glissent sur la corde de la sensibilité plus qu’ils n’appuient. Ce sont deux virtuoses di mezzo carattere.

En fait de pianistes célèbres, l’événement de la saison est l’apparition de M. Schulhoff, qui a donné trois concerts où il a excité l’enthousiasme des connaisseurs. Virtuose admirable, compositeur ingénieux et charmant, M. Schulhoff, qui est né à Prague, rappelle un peu la manière de Chopin, dont il possède la grâce avec plus de force et plus d’entrain. Son exécution rapide, élégante et nerveuse sans ostentation, semble plutôt une improvisation de