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n’ont rien offert de particulièrement intéressant. C’est toujours le même répertoire, composé des symphonies de Beethoven, de Mozart, d’Haydn, entremêlées de quelques morceaux de Weber et de Mendelssohn, qu’on y entend imperturbablement depuis vingt-sept ans. N’y a-t-il donc qu’un seul psaume de Marcello qui soit digne d’être mal chanté par les chœurs de la société des concerts, et ne pourrait-on choisir un autre morceau que le double chœur de Leisring, O Filii, pour donner une idée de la musique religieuse du XVIe siècle ? Pourquoi la société du Conservatoire dédaigne-t-elle Palestrina, Roland de Lassus, les vrais créateurs de cette musique placide et touchante dont le chœur de Leisring n’est qu’une pâle imitation ? Et Scarlatti, Léo, Jomelli et Sébastien Bach, si profond et si prodigieux, pourquoi donc n’essayez-vous pas de les faire connaître à ce public docile qui admire sur parole les fragmens d’un mauvais ballet de Beethoven, Gli Uomini di Prometeo ? Il est évident pour tout le monde que M. Girard, le chef d’orchestre de cette société, qui a été créée et mise au monde par l’illustre Habenek, n’est point à la hauteur de sa mission. Il manque d’initiative, de savoir et de ce degré de divination sans laquelle on n’est point un véritable artiste. Si la société du Conservatoire n’y prend garde, elle sera bientôt dépassée par les sociétés rivales qui s’épanouissent à l’ombre de sa vieille réputation.

Celle de Sainte-Cécile, que dirige avec tant d’ardeur et de dévouement M. Seghers, est certainement la plus digne d’intérêt. Parmi les ouvrages curieux qu’elle a exécutés cette année, nous citerons surtout Preciosa, mélodrame que Weber fit représenter à Berlin en 1822, après l’immense succès du Freyschütz. Dans ce mélodrame, composé d’une ouverture et de huit morceaux, où l’on remarque surtout la marche des Bohémiens, une délicieuse ballade et un chœur admirable - Aux bois, Weber a mis toute la fraîcheur, l’originalité et l’élégance chevaleresque de son génie mélancolique. Le succès de Preciosa a été très grand aux concerts de la société Sainte-Cécile, tant il est vrai que la musique inspirée n’a pas besoin de longs commentaires pour toucher les masses et ravir les créatures privilégiées. Nous n’en dirons pas autant de l’ouverture d’Athalie, de Mendelssohn, ni du finale du premier acte de Loreley, opéra inachevé du même compositeur, qu’on entendait pour la première fois à Paris. Nous laissons dire les Allemands, qui depuis quelques années disent de bien étranges choses en musique, et nous persistons à soutenir que Mendelssohn n’est point un demi-dieu à mettre à côté d’Haydn, de Mozart, de Beethoven, de Weber et de Rossini. C’était un esprit méthodique, un compositeur d’un immense talent, qui arrive souvent à l’inspiration, mais dont l’œuvre tout entière accuse le labeur et parfois l’impuissance. La société Sainte-Cécile n’en mérite pas moins les remerciemens de la critique pour ses efforts et ses excursions dans les régions inexplorées, et s’il était vrai que M. Seghers, contrarié dans ses vues par des médiocrités jalouses, songeât à abandonner la direction d’une société qu’il a fondée et qui n’existe que par lui, on ne tarderait pas à s’apercevoir que le public ne confond pas une réunion de manœuvres avec un chef intelligent.

Après la société Sainte-Cécile, nous devons signaler la petite escouade commandée par MM. Maurin et Chevillard pour l’exécution des dernières œuvres de Beethoven. Les six séances qu’ils ont données cet hiver ont été suivies par un grand nombre d’amateurs, de femmes distinguées et d’hommes éclairés,