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The Dodd Family (Abroad), by Charles Lever[1]. — S’il fallait donner à des lecteurs mal préparés une idée prompte et sommaire de ce qu’est en Angleterre le spirituel écrivain qui, après s’être fait connaître sous le pseudonyme d’Harry Lorrequer, se révèle depuis quelques années sous son vrai nom, Charles Lever, nous dirions que ses récits, où la raillerie philosophique se mêle à des charges ultra-grotesques, procèdent tour à tour des romans de M. Paul de Kock et du Jérôme Paturot de M. Louis Reybaud. Les Dodd en voyage (ainsi devrait-on traduire le titre du dernier roman de M. Ch. Lever) réveillent encore d’autres souvenirs dans l’esprit de ceux qui ont quelque teinture des lettres anglaises contemporaines. Ce livre fait songer à une des fantaisies les plus amusantes de Little Moore, à cette correspondance poétique, de la famille Fudge (Fudge Family), qui égaya presque aussitôt après la réouverture du continent, en 1816, les loisirs de l’aristocratie lettrée. Ceci se passait à une époque où on ne s’occupait guère en France de ce qui s’imprimait au-delà de la Manche, et les drolatiques aventures de la famille Fudge, nonobstant leur haut goût de libéralisme, n’ont eu de notoriété que chez nos voisins. La Famille Dodd a plus de chance, à l’heure présente, de trouver parmi nous des lecteurs, et soit qu’on y cherche la peinture satirique de l’Anglais en voyage, soit qu’on l’accepte comme un joli album de caricatures à outrance, rehaussées d’un texte qui les fait valoir, il est à parier que ce magnifique volume aura sa place sur plus d’un guéridon, pêle-mêle avec les publications à images, les petits romans du jour, les collections de costumes cosaques, les voyages dans la Mer-Noire, les biographies militaires, et autres éphémères primeurs dont se repaît la curiosité opulente et blasée.

Si nous résumons la substance de cette longue série de lettres, elle nous offre, avec des centaines d’épisodes plus ou moins heureux, le tableau des méprises, des mésaventures, des bévues, des déceptions que peut rencontrer sur tous les grands chemins de l’Europe une famille irlandaise, soudainement transplantée, du domaine où elle règne et prospère, dans les auberges, les tables d’hôte, les salons, les établissemens thermaux de Belgique, d’Allemagne et d’Italie. La France cette fois se trouve, — nous ignorons comment, — hors de jeu. Peut-être est-ce un des résultats de l’entente cordiale actuelle. Dodd père, — ou « le gouverneur, » deux surnoms sous lesquels son fils le désigne assez irrévérencieusement, — est un excellent type de propriétaire irlandais, impétueux, irascible au dehors, mais dans le fond complaisant et docile chef de famille, qui se laisse aller tête baissée, — son premier feu de résistance venant à s’user, — dans toutes les extravagances que sa femme et ses enfans entreprennent de lui faire accepter. Grondant toujours, toujours menaçant, de reprendre le chemin du logis, aggravant par ses vivacités milésiennes les situations, déjà fort critiques, où le jette son ignorance complète des mœurs continentales, il épanche ses angoisses, ses appréhensions, parfois ses remords, dans le sein de l’ami chargé de gérer ses affaires. Cet ami, — Thomas Purcell, — représente le coffre-fort, et, mieux que pas un confesseur, il doit être initié à toutes les peccadilles de nos voyageurs. Ne faut-il pas

  1. London, Chapman and Hall, 1854, 1 vol. petit in-4o, illustré par Phiz.