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grande taille, son regard pénétrant et sa dignité chevaleresque, il semblait faire revivre quelqu’un de ses aïeux du moyen âge, ce comte Vert, dont il prenait plus tard la devise, et pour lequel il avait un culte particulier. Il avait été nommé successivement colonel du régiment de Saluces, puis grand-maître de l’artillerie. Il avait tous les instincts militaires de sa race, et s’occupait de l’armée en homme qui l’aimait. C’en était assez pour ne point plaire aux zélateurs de la réaction sarde, et pour fixer sur lui les regards des libéraux épars dans le Piémont et dans le reste de l’Italie. Les esprits les plus éminens, le poète Monti, avec son imagination ardente, et des écrivains plus graves, tels que Pietro Giordani, Angeloni, étaient d’accord pour saluer en lui le dernier espoir de la patrie italienne. « Vous êtes heureux, vous, jeunes Piémontais, disait Monti, vous avez Carignan ; c’est un soleil qui s’est levé sur votre horizon, adorez-le, mes amis, adorez-le. » Ce jeune homme aux manières martiales, habilement familier et déjà maître de lui pourtant, voyait venir la faveur publique, et savait la retenir par ses paroles, par ses encouragemens à toutes les idées généreuses, par ses sympathies pour tout ce qui faisait battre l’âme italienne. Le palais Carignan avait ses réunions, où accourait tout ce qui était jeune et mécontent du présent, où on ne se faisait faute de critiquer le gouvernement, et où on s’exaltait surtout dans le sentiment d’une lutte patriotique contre l’Autriche. Et, comme pour ajouter à cette différence d’attitude politique de Carignan et du duc de Genevois, il y avait, disait-on, entre les deux princes de vives animosités personnelles. — Des mécontentemens réels, mais trop vagues encore pour devenir la passion d’un peuple, des instincts de progrès civils excités par la compression, des ardeurs mal contenues de patriotisme anti-autrichien, la popularité d’un prince apparu un moment comme le chef possible d’une libérale et nationale réaction, voilà l’origine de ce qu’on pourrait appeler cette grande étourderie de 1821, si elle n’eût été le fruit d’illusions qui n’avaient rien de vulgaire, et trop cruellement expiées.

La révolution piémontaise de 1821 est à coup sûr un des incidens les moins connus ou les plus oubliés de l’histoire contemporaine, comme il arrive de toutes les révolutions avortées. Elle se présentait dans les circonstances en apparence les plus favorables. L’Europe était dans une fermentation politique singulière ; l’Espagne venait d’accomplir une révolution couronnée d’un succès momentané, Naples avait suivi le même mouvement, et l’Autriche se préparait à marcher avec une armée sur la Basse-Italie pour étouffer la révolution napolitaine : belle occasion offerte au Piémont de se jeter sur les derrières de l’Autriche et de reprendre des desseins séculaires sur la Lombardie, au moment où les forces impériales étaient divisées ! De