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périlleuses : l’entraînement de quelques imaginations ardentes et la puissance de l’occasion. — Les libéraux vaincus et dispersés allaient expier l’audace d’une entreprise impossible, les uns dans les supplices, d’autres dans l’exil, cet autre supplice. — L’Autriche, avec un mélange de patience et de hardiesse, étendait sur l’Italie le réseau de son influence ; elle avait ses soldats à Naples, elle régnait à Modène et a Parme, elle laissait à peine à la Toscane l’illusion de son indépendance, en dépit des généreux efforts du ministre Fossombroni pour conserver du moins les apparences. Le Piémont retombait sous le joug d’une réaction victorieuse fortement organisée et personnifiée dans un prince d’une grande droiture de caractère, mais d’une volonté de fer, et systématiquement hostile à toute pensée de patriotisme italien et de libéralisme. Charles-Félix se déguisait à lui-même sa dépendance vis-à-vis de l’Autriche sous le voile d’une identité de politique. Le prince de Carignan enfin échappait à cet orage meurtri et désabusé, menacé dans ses droits, suspect aux royalistes purs pour avoir trop fait, suspect aux constitutionnels parce qu’il n’avait pas fait assez, parce qu’il avait semblé déserter la cause au moment du péril, comme il semblait la trahir plus ouvertement encore en allant en Espagne combattre une constitution qu’il avait proclamée à Turin. Ce n’est que par un effort de dextérité qu’il se sauvait ; mais les événemens devenaient pour lui la source du plus singulier travail intérieur. Trahi par la fortune, méfiant pour les hommes et les partis qui le suspectaient, il se repliait en lui-même. L’amère expérience venait donner un aliment à des germes naturels de dédain et de sarcasme. Sa physionomie même, mâle et fière, contractait je ne sais quelle impassibilité mêlée de pénétration qui le rendait aussi habile à cacher sa pensée qu’à surprendre celle des autres. Les poursuites de l’Autriche amassaient en lui un immortel levain qu’il nourrissait en le dissimulant. Déjà aussi, vers cette époque, comme pour ajouter aux complications de ce travail moral, son esprit inclinait vers une sorte de mysticisme religieux où se tempéraient et se disciplinaient ses amertumes. De 1821 à 1831, le prince de Carignan disparaissait, en quelque façon exilé du pays où l’attendait un trône. Que faisait-il durant ces années ? Il écrivait pour ses enfans des contes moraux, que quelques confidens seuls ont pu connaître. Ce n’était point une œuvre d’une grande littérature : elle était écrite suffisamment en français, et la singularité de ces contes, c’est que la moralité pouvait aisément se tourner en épigramme contre certaines parties de la vie de l’auteur. C’est à peine si vers 1830 les rigueurs commençaient à fléchir pour le prince de Carignan. Il visitait l’île de Sardaigne et observait ses besoins ; il reparaissait après dix ans sur la scène, et lorsque bientôt