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impériale, celui d’être une avant-garde de l’armée autrichienne en Italie. Ce qu’il y a de particulier, c’est que ce rapport était communiqué à Charles-Albert, comme pour flatter son amour-propre par l’éloge et faire passer le conseil. Le roi souriait à ces remarques. Au fond, on s’entendait de part et d’autre. Survenaient les événemens de 1840 et les menaces de guerre européenne. Le ministre impérial à Turin, le prince de Schwarzenberg, pressait le Piémont de se prononcer, ou plutôt il feignait de considérer comme si peu douteuse l’adhésion de la cour de Turin à la politique autrichienne, qu’il parlait de faire occuper les positions du Pô par les forces impériales. Ce personnage altier et acerbe était le moins fait pour dissimuler les prétentions de la politique qu’il représentait. Ces prétentions, Charles-Albert les repoussait nettement en déclarant la neutralité du Piémont, non sans avoir cherché peut-être à savoir ce qu’il pouvait attendre du côté de la France. Et quel était le commentaire secret de cette neutralité ? C’est ce mot que M. Gualterio prête à Charles-Albert : « Il n’est pas temps encore ! » C’est cet autre mot que M. della Margarita rapporte lui-même en voulant infirmer le récit de M. Gualterio : « Tout ce que l’on fait se réduira probablement en fumée ; mais le grand jour finira par arriver, et il ne faudrait pas que nous eussions d’avance gâté notre position. » Pourrait-on douter des véritables sentimens de Charles-Albert en voyant, dans les pages que je citais, écrites vers cette époque sous le titre : Ad majorem Dei gloriam, cet esprit étrange s’ingénier à chercher une justification religieuse de son immortelle passion dans un verset du Deutéronome : « Tu ne feras point roi d’une autre nation un homme qui ne soit un frère ? »

Lorsque la pensée d’un tel antagonisme vit au plus profond de l’âme d’un homme, il est tout simple qu’elle se manifeste sous toutes les formes, qu’elle s’étende à tous les terrains. Il ne faut que l’occasion, et les occasions sont nombreuses dans des pays comme l’Italie, où la lutte est la condition la plus intime des peuples. De 1840 à 1846, tout semble se coordonner à cette pensée et concourir au même but par les voies les plus diverses. Que les chemins de fer deviennent la fièvre nouvelle des peuples, aussitôt la lutte s’organise sur ce point, les esprits se passionnent, les systèmes ennemis naissent d’une sorte de force des choses et se font la guerre : — d’un côté le système autrichien, de l’autre ce qu’on pourrait appeler le système national italien. Subordonnant tout à l’intérêt impérial sur le terrain matériel comme sur le terrain politique, l’Autriche, en isolant les états sardes, veut relier l’Italie centrale à la Lombardie par Bologne, Ferrare, Rovigo, et rattacher Naples par Manfredonia au système autrichien et à la ligne commerciale de l’Adriatique ; elle est le centre des rapports