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exorbitant les vins piémontais à leur entrée en Lombardie. C’était là une faute de l’Autriche ; pour une question douteuse, elle faisait à Charles-Albert le rôle le plus beau et qui répondait le mieux à ses désirs, — celui d’un prince italien soutenant dans une lutte ouverte avec la politique impériale les droits et les susceptibilités légitimes de son indépendance.

Tel était le spectacle dangereux pour l’Autriche offert à l’Italie pendant quelques mois par le roi de Sardaigne. L’illusion du cabinet de Vienne était de croire, dans les circonstances où se trouvait l’Italie, qu’il pourrait tirer une victoire politique d’une guerre de tarifs qui frappait un des premiers intérêts matériels du Piémont. C’est dans ce dessein qu’il faisait marcher de front une double négociation, — peu éloigné peut-être dans le fond de faire quelques concessions sur le différend commercial, et d’un autre côté cherchant à agir sur le roi, mettant en suspicion ses tendances, lui représentant le danger de l’agitation et tentant un dernier effort pour reconquérir un peu d’ascendant à Turin. Charles-Albert résistait inébranlablement sur ce double terrain. Vainement les absolutistes, alarmés de cette crise, essayaient-ils de faire prévaloir une dernière proposition de l’Autriche, qui offrait de retirer le décret du conseil aulique sur les vins à la condition que le Piémont suspendrait le transit des sels du Tessin, pour déférer la question intacte à l’arbitrage d’une grande puissance : — ils n’obtenaient rien de Charles-Albert, et M. della Margarita raconte assez naïvement, ce me semble, qu’il se laissait emporter jusqu’à dire au roi : « Il ne me reste plus, pour satisfaire votre majesté, qu’à proposer au ministre d’Autriche de se jeter aux pieds du roi et à lui demander excuse de tout ce qui est arrivé. »

Tout ne transpirait point de ces faits ; on en savait assez pour qu’une vive émotion se répandit dans le Piémont et dans le reste de l’Italie, si bien qu’un jour le roi fut obligé de contremander une manœuvre et de se renfermer dans son palais pour éviter une démonstration populaire qui l’attendait. Charles-Albert se vengeait de sa réserve officielle en écrivant dans une lettre particulière, au sujet d’une autre mesure peu faite pour plaire à l’Autriche : « Ce pauvre prince de Metternich en fera bien du mauvais sang. Je le regrette pour lui ; mais, quant à moi, malgré le petit, fort petit parti autrichien ou rétrograde, je suis bien résolu à avancer dans le progrès, dans tout ce qui peut tendre au bonheur du peuple et au développement de notre esprit national… Au reste, si on voulait éliminer de notre pays l’esprit anti-autrichien, il faudrait commencer par m’expulser moi-même. » Tout, dans les correspondances familières du roi de Sardaigne, semble révéler cette pensée unique et absorbante. Le 3 mai 1846, il écrivait : « Ce que je souhaite le plus après le bien que je désire procurer