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périodiques des grandes puissances en vue des intérêts généraux de l’Europe appartient à une politique nouvelle et très contestable, qu’il aura pour conséquence nécessaire de nous engager profondément dans la politique du continent, tandis que notre vraie politique a toujours été de n’intervenir que dans les très grandes circonstances et de le faire alors avec des forces décisives. Il a la conviction que tous les autres états protesteraient contre la tentative de les réduire ainsi à un état de sujétion, que les réunions projetées deviendraient un théâtre de cabale et d’intrigue, et que le peuple anglais en arriverait bientôt à s’alarmer pour ses libertés, si notre cour entrait en délibérations réglées avec les grandes monarchies despotiques sur la question de savoir quel degré d’esprit révolutionnaire peut mettre en péril la sécurité publique, et par suite exiger l’intervention de l’alliance. Il n’a pourtant produit cette raison que comme un argument populaire. — Je ne partage pas l’opinion de Canning, et aucun des membres du conseil n’y adhère non plus ; mais si c’est là son sentiment, il n’est pas déraisonnable de présumer que ce sera aussi celui de beaucoup d’autres personnes, sans compter nos adversaires habituels. Et dans quelle intention, je vous le demanderais, prendre le taureau par les cornes’ ? Pourquoi voudriez-vous, par une promulgation prématurée, appeler un parlement nouveau, dont les inclinations sont encore douteuses, à se prononcer immédiatement sur le principe d’un système qui, si l’expérience le démontre bon, s’établira de lui-même, chaque réunion donnant naissance à une autre, si on en éprouve d’heureux effets ? Et comme tous les systèmes politiques ont leur époque, il y aura cet avantage à ne pas rendre les réunions périodiques, que, le jour où il faudra y renoncer, elles finiront naturellement sans qu’un tel changement fixe l’attention publique. — Il ne peut y avoir aucune objection à ce que les cabinets conviennent entre eux de continuer à se réunir, et le neuvième article (du traité du 20 novembre) y a même si complètement pourvu, que tout engagement additionnel dans ce sens serait superflu. Tout ce que vous avez besoin de faire, c’est de fixer le moment de la plus prochaine réunion, et vous verrez que Canning lui-même ne s’y oppose pas… - Je suis sûr que vous connaissez trop nos sentimens envers vous pour ne pas être certain que nous serions bien vivement affligés, si cette dépêche vous trouvait tellement engagé dans la résolution de fixer des réunions périodiques, qu’il vous fût difficile d’y demander quelque modification ; mais vous comprendrez, très certainement qu’elle nous susciterait tout à fait gratuitement de grandes difficultés parlementaires… Si vous écrivez une lettre circulaire aux autres cours, il est à désirer pour vous-même que vous puissiez nous en envoyer d’avance la minute, car les documens de cette espèce deviennent souvent l’occasion de discussions fort inutiles dans le parlement quand ils ne sont pas rédigés avec beaucoup de soin. »

Cette lettre de lord Bathurst est importante. On y voit que le cabinet le plus tory et à certains égards le plus aveuglément conservateur qu’ait eu l’Angleterre depuis le commencement du siècle, ce cabinet si fortement lié à la politique des cours continentales, se sentait déjà pourtant dans l’impossibilité d’y persévérer en présence des réclamations de l’opinion publique, à moins qu’on n’y apportât