Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle ne peut se donner celle justice qui ne va pas sans la bienveillance, — grâce de cette sorte de justice. Il raconte une guerre dans laquelle il eût voulu combattre, que dis-je ? dans laquelle il combat encore. C’est le bon combat, croit-il ; Dieu est avec lui ; les ennemis de sa foi sont donc les ennemis de Dieu. C’est beaucoup que de ne les pas outrager, mais comment ne pas les méconnaître ? Comment rendre pleine justice à leurs doctrines, à leurs motifs, à leurs sentimens ? On ne peut lire M. Merle d’Aubigné sans un vif intérêt, sans une sérieuse estime, ni pourtant avec une aveugle confiance. Il faut mettre à l’épreuve ce noble esprit avant de l’en croire. Probate spiritus.

La réformation du XVIe siècle est un événement européen ; elle a éclaté presque au même instant dans les principaux pays de l’Europe. En moins de dix ans, elle avait envahi l’Allemagne, la Suisse, la France et l’Angleterre. Son apparition presque simultanée et son prompt développement sur des points divers prouvent qu’elle venait d’une cause générale, et partout elle s’est montrée avec des caractères communs qui attestent une certaine unité. C’est donc à quelques égards une seule et même révolution qu’on peut embrasser dans son ensemble, et qui comportait une histoire générale ; mais, née en même temps sur des terres diverses, elle n’est pas née d’un germe unique. Ce n’est pas un mouvement qui, partant d’une seule origine, se soit propagé de proche en proche. À une certaine époque de l’esprit humain, à un certain âge de la société moderne, tout était mûr en plusieurs contrées pour qu’elle vînt au monde, et de là, à proprement parler, plusieurs reformations, qui par leurs ressemblances ont constitué la réformation générale. Cependant la diversité des circonstances, des symboles, des institutions, des individus, des conduites, a suivi la différence des nationalités. L’esprit de système pourrait seul ramener les événemens, considérés soit en eux-mêmes, soit dans leurs principes, soit dans leurs résultats, à une parfaite identité. Dans une histoire, il faut nécessairement comprendre autant de récits qu’il y a eu de nations réformées : c’est la difficulté comme le défaut inévitable d’un tel ouvrage, quoique ce fût une idée juste que de rassembler tous ces sujets dans un seul cadre, de les unir par leurs rapports évidens et par leurs liens naturels ; mais c’était en même temps une grande idée, et la tâche était vaste. Aussi l’ouvrage de M. Merle d’Aubigné, commencé en 1835 et parvenu à son cinquième volume, ne contient-il encore que la série des événemens de 1517 à 1531 ; l’histoire en est divisée en vingt livres, dont, après un livre d’introduction, onze sont consacrés à l’Allemagne, trois à la Suisse, un à la France et quatre à l’Angleterre. Autant de pays, autant de reformations différentes, ayant chacune leur