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drame et leurs personnages particuliers. L’indépendance de ces événemens les uns à l’égard des autres est telle que si, par des causes accidentelles, l’un eût manque de se produire, les autres n’en auraient pas moins éclaté. Aucune des quatre réformations n’est entièrement l’effet d’une autre, quoique toutes se soient mutuellement secondées. Si cependant il en est une qui n’ait rien emprunté et qui doive tout à elle-même, c’est celle de l’Allemagne. C’est ce mouvement commencé par un pauvre moine saxon, aboutissant à la conquête d’un vaste empire spirituel qui s’étend du nord de la Suède aux frontières de la Bohême, et des bouches de l’Escaut aux bords du Niémen. Sur ce théâtre s’est accomplie la plus grande révolution du christianisme, et Luther est l’homme le plus important de son siècle.


II

Les mots de révolution religieuse sont prisa la lettre par XL Merle d’Aubigné. Que la réformation ait été autre chose encore, il ne le nie pas. Elle a été une révolution politique, puisqu’elle a rompu l’uniformité de l’Europe, créé des états nouveaux ou restauré d’anciens états sur de nouveaux principes, enfin divisé les gouvernemens et les peuples par de nouveaux intérêts. Elle a été une révolution philosophique, puisqu’elle a inauguré, bien qu’en le limitant, le droit d’examen individuel, affranchi la pensée de toute autorité extérieure, et déterminé ou favorisé le plus grand mouvement connu de l’esprit humain. M. Merle d’Aubigné ne ferma pas les yeux à ce double point de vue, mais au fond ce n’est pas là son affaire. Les caractères et les effets temporels de la réformation lui laissent même quelque regret. Il ne les accepte qu’avec réserve, il n’y applaudit qu’avec restriction. Ami des principes libéraux de gouvernement, admirateur plus que froid des anciennes formes sociales, il avoue sa répugnance et ses scrupules, toutes les fois que pour abolir une oppression le bras de chair se montre et que la sagesse humaine intervient dans les affaires. Il voudrait que tout fut spirituel dans l’établissement du règne de l’esprit. Il semble persuadé que si les hommes, jusque dans les révolutions, laissaient faire leur divin Sauveur sans y joindre leurs propres œuvres, tout leur serait donné par surcroît, et le monde n’en irait que mieux. Ne cherchez donc pas dans son ouvrage un tableau de la réforme sous tous ses aspects. En tant qu’elle touche la constitution européenne et la marche de l’esprit humain, vous serez encore oblige de recourir à l’ouvrage distingué, mais superficiel, de Charles Villers. Il faudra vous contenter de cette esquisse tant, que notre habile et savant ami M. Mignet le voudra bien. En attendant, le côté