Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la conséquence extrême du dogme de la chute de l’homme et de celui de la rédemption ; mais toute conséquence extrême nous est suspecte et tourne contre son principe. C’est une faiblesse de l’esprit humain que de s’y laisser emporter. Quel profit et quelle apparence y a-t-il il prétendre que les bonnes actions sont encore des péchés ? Que sert de pousser à ses dernières limites le dogme de la prédestination, et d’en faire un choix gratuit et par conséquent arbitraire des élus ? C’est par ces deux points que le calvinisme et même le jansénisme ont des analogies avec le fatalisme des stoïciens, et avec leur principe si connu et si outré de l’égalité de toutes les fautes.

Notre intention n’est point de provoquer de controverse ; nous parlons d’analogie et non d’identité. La doctrine que nous attribuons aux réformateurs du XVIe siècle, nous savons comment on la disculpe dans l’application, comment même on la rend si favorable à la piété, qu’elle cesse d’être inquiétante pour la morale. Nous n’ignorons pas que, dans le sein même du protestantisme, elle a été modifiée en sens divers, et surtout que la critique moderne, la délivrant de certaines formules augustiniennes et d’un reste de théologie scolastique, prétend à une interprétation plus pure, plus exacte, plus historique de la sainte Écriture. Il nous suffit ici de caractériser d’une manière générale l’esprit du luthéranisme, d’en dégager le principe, tel que Luther ne fut pas seul à l’établir, quoique nul ne l’ait établi avec plus de force et de succès. Et maintenant, ce principe étant connu, nous demanderons s’il est vrai qu’il se réduise à une simple négation ? Est-ce là une vue critique et polémique qui ne fonde rien ? Est-ce une conception rationnelle substituée à un dogme révélé ? Tout au contraire, c’est plutôt un retour à certains termes de l’Écriture ; c’est un démenti donné aux suggestions de la morale naturelle et de la philosophie dite du sens commun ; c’est l’affirmation et l’extension de deux dogmes fondamentaux : le péché originel et la rédemption par le divin médiateur. Bien loin de nier ces vérités capitales du christianisme, il semble que les protestans les exagèrent. Avec eux, il y a pour ainsi dire un accroissement de dogme, et certainement un accroissement de foi ; car, chez eux, la foi hérite de tout ce qui est enlevé aux œuvres, et contracte en quelque sorte une vertu miraculeuse de plus.

Cette réforme doctrinale n’a donc nulle ressemblance avec les systèmes de naturalisme et de rationalisme dont on veut que le protestantisme soit l’équivalent. Comme réformateurs, les protestans sont plus absolus que les catholiques, et demandent au moi humain, dans son orgueil ou dans sa raison, un plus grand sacrifice ; mais ce qu’ils sont comme réformateurs, ils ne le sont pas comme novateurs. Autre est leur doctrine par son essence, autre elle est par ses effets.