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Elle était contraire à celle de l’église établie ; elle en combattait avec des textes l’enseignement et les traditions : elle supposait donc, et elle fut bientôt obligée de soutenir, que l’Écriture sainte, lue avec foi, interprétée avec sincérité, était une règle supérieure à toute autre. L’autorité de l’Écriture devenait ainsi plus grande que celle de l’église. En cas de conflit, la première devait être préférée. C’était détruire ou tout au moins limiter la seconde, c’était ébranler, c’était nier la doctrine érigée en dogme, qui place la religion sous la garde d’une autorité visible, divinement inspirée ; c’était surtout rompre avec une opinion extrême, soutenue alors comme aujourd’hui, et d’après laquelle la religion ne serait vraie qu’en vertu de cette autorité ; il n’y aurait, hors de l’église, aucune raison de croire. L’infaillibilité cessait d’être constituée quelque part, dans les supérieurs ecclésiastiques, dans le saint-siège, dans l’église romaine. L’Esprit saint, exprimé par l’Écriture, se donnait à la prière. Pour posséder la vérité, il suffisait de lire et de comprendre, pourvu qu’on le fît sincèrement et pieusement. Ce n’était pas en principe et dans l’intention des novateurs le pur examen, puisqu’il fallait en outre de certaines dispositions intérieures ; mais ce pouvait être, en dernière analyse, un examen du texte, opéré librement par la raison individuelle. Ainsi la foi pouvait tomber en fait dans la dépendance de la raison.

Ce point admis, on devait être conduit à mettre d’autres traditions catholiques en question, celles du moins qui se fondaient principalement sur les décisions de l’autorité, celles surtout qui pouvaient être regardées comme des conséquences de la doctrine de la justification par les œuvres. En effet, si les œuvres servent au salut, elles ne sauraient être trop multipliées. Tout sacrifice, toute observance, toute privation acceptée en vue de Dieu acquiert une valeur propre, et devient un acte satisfactoire. De là le grand prix attaché aux pénitences, aux aumônes, aux pratiques, aux formalités enfin que prescrit l’église. Ce n’est plus la foi seule qui en fait le mérite, puisqu’elles ajoutent au mérite de la foi. Autrement de quoi serviraient-elles ? On conçoit que l’examen, en s’avançant sur ce terrain, s’ouvrait un champ très vaste. L’église, en qualité de pouvoir extérieur et visible, ne peut se défendre d’attacher une excessive importance à tout ce qui est extérieur et visible. La spiritualité ne peut dominer toute pure chez tous ses ministres, non plus que chez tous les fidèles. Il est plus facile de prescrire et d’accomplir certaines pratiques que de changer le cœur et l’esprit. De là un penchant inévitable à outrer la vertu des actes matériels de dévotion. Le moyen âge avait fini par mettre la forme au-dessus du fond, le procédé au-dessus du but, et certains pays de l’Europe en sont encore au moyen âge ; la