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des Variations épuisent à peu près la mesure des concessions que sa sagesse arrache à son zèle. Luther et la plupart des chefs de la réforme ne sont par la suite que des hérésiarques à qui il n’arrive plus d’avoir raison. Bossuet donne bien quelques regrets à la réforme modérée, vœu des saint Bernard, des d’Ailly, des Gerson. « Il y avait, dit-il, deux sortes d’esprits qui demandaient la réformation : » les uns, vraiment pacifiques, qui la proposaient avec respect ; au milieu des abus, ils admiraient la Providence qui savait, selon ses promesses, conserver la foi de l’église ; mais il y avait des esprits superbes qui, « frappés des désordres qu’ils voyaient régner dans l’église,… ne croyaient pas que les promesses de son éternelle durée pussent subsister parmi ces abus. » Rien ne pouvait arracher les uns de l’unité, les autres ne respiraient que la rupture. Bossuet se trouve ici dans un milieu qui nous est connu. Ce qu’il vient de dire se peut répéter de toute révolution. Il n’en est guère qu’on ne pût prévenir ou retarder par une réforme partielle et modérée. Les esprits pacifiques la souhaitent, cette réforme, ils la conseillent, mais ils ne la font pas. Ils en tolèrent, comme il dit, humblement le délai ; puis, le délai passé, arrivent les esprits superbes, et la réforme devient révolution. C’est un malheur et souvent pis qu’un malheur ; mais les choses humaines marchent aussi par cette voie. Sans ces esprits superbes qui ne craignent pas les ruptures, où en serait le monde ? Entre autres choses, comment, après que son divin fondateur eut disparu de la terre, comment se serait établi le christianisme ? Sans doute bienheureux les pacifiques, mais aussi le royaume des deux est ravi par les violens. Seulement il y a superbes et superbes, violens et violens. Ces distinctions sont faciles en politique, quoique souvent méconnues. Il y a des constituans de 89, mais il y a des conventionnels de 93. De même il y a des protestans et des anabaptistes ; il y a Luther et Muncer, Mélanchton et Jean de Leyde. C’eût été trop prétendre que d’exiger que Bossuet tînt grand compte de ces nuances. L’évêque juge la réforme comme le politique jugeait la révolution d’Angleterre.

Dirons-nous quelque chose de cette opinion sans nuance qui met tout le mal d’un côté et tout le bien de l’autre ? Dans son sens, M. Merle d’Aubigné s’en rapproche quelquefois, malgré de louables efforts pour y échapper ; dans un autre sens, M. Rohrbacber s’y jette et s’y complaît. Si l’un ou l’autre avait raison, il est plus que douteux que le catholicisme se fût maintenu, ou que le protestantisme se fût jamais établi.

Cet établissement si rapide et si durable suppose au moins l’existence de grands abus dans l’église du XVIe siècle. Pour les nier, on recourt à un artifice, ou plutôt on commet une méprise qu’il faut