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une portion déterminée du temps d’épreuve réservé au pécheur que la mort traduit devant Dieu. Et cette doctrine dangereuse, rarement avouée par le clergé de France, mais admise ailleurs, engendrera des erreurs, des illusions funestes à toute vraie morale, et que n’ont pas moins souffertes ou professées les prédicateurs d’indulgences de la fin du moyen âge. De là les abus que Rome n’a pu ignorer ; mais elle n’a rien fait pour y mettre un terme ;

Ces excès, il faut en convenir, étaient bien propres à servir la doctrine de la justification par la foi. Avec quelle ardeur Luther, témoin de ces applications exorbitantes du principe des œuvres satisfactoires, dut tomber de nouveau sur ce principe et demander que l’on jugeât l’arbre à ses fruits ! Ce n’est pas une manière bien sévère ni toujours bien légitime de raisonner ; mais c’est une des plus spécieuses, des plus persuasives, des plus entraînantes pour celui qui s’en sert et pour ceux avec qui l’on s’en sert. Luther, armé de cette argumentation, dut sentir se doubler sa conviction et son influence. Pour allumer l’incendie, ses adversaires eux-mêmes lui avaient mis la torche à la main.

Dans cette guerre aux abus de la cour de Rome, et bientôt à la cour de Rome elle-même, il avait pour le soutenir au dedans l’Écriture et sa loi. Pour l’appuyer au dehors, il avait des savans, dont le premier fut Mélanchton, qui n’était pas prêtre, et qui vint par les lettres au nouvel évangile. Il avait des princes, dont, le premier fut l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage, le prince le plus considérable de l’empire et le chef de cette maison qui a donné des héros à la réforme. Il eut bientôt un peuple, et c’était le peuple saxon, qui unissait un certain mouvement intellectuel à la simplicité des mœurs et la faculté de raisonner au besoin de croire. Le premier combat de Luther fut contre Tezel. Il le dénonça en chaire et institua contre les indulgences une controverse réglée. Tezel répondit en faisant brûler les thèses de Luther, qui brûla les siennes et le força à se replier sous la protection de l’autorité romaine. C’est alors qu’un maître du sacré palais publia une première réfutation dédiée à Léon X. Le débat fut porté de la question des indulgences sur celle de l’autorité infaillible ; mais la prudence de Rome imposa silence à son défenseur.

En Allemagne, la guerre ne cessait pas. Les adversaires se succédaient et ne faisaient qu’animer l’ardeur du réformateur. Il avait ce don nécessaire aux hommes qui doivent changer le monde, le don d’être excité par la contradiction et enhardi par l’obstacle. Il rebondissait pour ainsi dire au moindre choc. Ainsi, après une dispute publique à Heidelberg, il fit un résumé de ses doctrines qu’il adressa à son supérieur, l’évêque de Brandebourg, et au pape lui-même. Il