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LE MATACHIN


SCENES DE LA VIE FRANC-COMTOISE.[1]





I. - JOSILLON CLAIRET.


I

Il est dix heures du matin, on est au mois de mai, il fait un temps superbe. Les rues de Salins ont un air de fête. Le Mont-Poupet se carre au loin dans ses broussailles verdoyantes. La brise souffle sans relâche, mais caressante et douce comme une brise de printemps, et chacun s’empresse de l’aspirer par tous ses pores et par toutes ses fenêtres, car, en passant à travers les grands tilleuls fleuris de la promenade Barbarine, elle a eu soin de s’y parfumer de son mieux avant de venir souhaiter le bonjour à la population salinoise.

Les hirondelles, toutes ravies de se revoir aussi en pays de connaissance, tirent, de la Place-d’Armes à la Porte-Haute, les bordées les plus insaisissables, puis reviennent en arrière, puis repartent en avant, sans parvenir à se rassasier de toutes ces enivrantes baleines, de toutes ces émanations printanières, de toutes ces lumineuses splendeurs. Dans le ciel pur tourbillonnent en longues troupes les martinets criards, enfermant dans un cercle sans fin le clocher de Notre-Dame, celui de Saint-Maurice et la coupole de l’hôtel de ville. Le fort Saint-André, inondé de lumière, regarde le soleil face à face avec l’air reconnaissant et sénile d’un invalide qui étale enfin au chaud ses rhumatismes, tandis que la côte de Belin, encore complètement dans l’ombre, semble déjà pourtant franger de feu toute sa crête de rochers, ou les petits œillets rouges ne tarderont pas à fleurir.

  1. Berthold Auerbach, Jérémie Gotthelf, ont donné en Allemagne et en Suisse l’exemple d’une heureuse application du roman à la peinture des mœurs villageoises. C’est à cet ordre de tentatives que se rattache le récit qu’on va lire, et ainsi s’explique la place qu’y tiennent certains détails de langage et de vie locale qui sont ici un élément d’intérêt.