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depuis longtemps fermé, sur laquelle on lit à travers les éclabonssures et les toiles d’araignées ces touchantes paroles : — Tabé, mécanicien en tous genres, raccommode les soufflets. Si les premiers mots de cette légende sont coupables d’un peu de prétention, n’est-ilpas vrai que cela est bien racheté par cette conclusion naïve et prévoyante : — Racommode les soufflets ?

Parmi les maisons voisines de la fontaine, il en est une qui se fait remarquer tout d’abord par un certain air de propreté. D’apparence humide et sale par le bas, comme tout le reste de la rue, cette maison, recrépie à neuf dès le premier étage, devient littéralement blanche comme neige aux étages supérieurs. Cette propreté du dehors, qui contraste si complètement avec tout l’entourage, semble être un indice de la propreté du dedans. La maison n’a que deux fenêtres par étage, mais on sent que ces grandes fenêtres carrées sont assez larges pour desservir de lumière et d’air deux pièces d’assez belle dimension. En bas, deux portes inégales correspondent à ces deux fenêtres, — la porte de la cave, ferrée de gros clous à large tête, et la porte de l’escalier. Entre ces deux portes se trouve le larmier, soupirail étroit garni de deux barreaux de fer, destiné à maintenir le courant d’air dans la cave. Des fenêtres supérieures de cette maison, la vue s’étend librement sur les pentes de Saint-André, sur les vignes du château de Rans, sur le rocher du Gros-Talus et jusque sur la côte boisée de Saigret. De l’une de ces fenêtres déborde une caisse de sapin remplie de terre, espèce de jardin en miniature, dont l’intérieur est semé de persil, de cerfeuil et de ciboules, et à la circonférence duquel s’épanouit une superbe guirlande de résédas. Au-dessus de la caisse, deux crochets de fer surgissent du mur, destinés à recevoir ces belles gourdes vertes qu’en automne les vignerons salinois ont l’habitude de faire sécher à l’air.

Derrière cette plate-bande aérienne se dessine le profil d’une jeune fille qui semble fort appliquée à sa couture. L’embrasure de la fenêtre est de taille à contenir facilement, — outre sa chaise, — le petit banc de bois où reposent ses pieds et sa large table à ouvrage, sur laquelle on aperçoit déjà une pile de chemises confectionnées, les pièces éparses de celle en travail, les ciseaux, la pelote hérissée d’aiguilles, les petits boutons de nacre symétriquement fixés sur leur plaque de carton, les pelotons de fil blanc, la limoge rouge pour le marquage, et, dans un vase à fleurs évasé par le haut, quelques branches de lilas.

La pièce où coud ainsi cette jeune fille est une de ces chambres-cuisines si communes chez les vignerons francs-comtois. À gauche, en entrant, on trouve le dressoir avec ses plats d’étain par le haut, ses seilles (seaux) d’eau au centre, et ses marmites rangées selon leur taille par-dessous. Plus loin vient la crédence à hauteur d’appui, où l’on met les vivres, avec un tiroir pour les cuillers, les oignons et les bouts de ficelle. Au mur pendent la poêle à frire toute notre et la bassinoire en cuivre rouge. Le pétrin est à sa place à côté de l’horloge. Vis-à-vis de la fenêtre se déploie en saillie le manteau carré de la cheminée, sur la corniche de laquelle figurent la lampe d’étain, deux chandeliers de cuivre, un autre de fil de fer à crochet pour aller à la cave, deux fers à repasser et autres menus ustensiles de même nature. Dans le coin à gauche de la cheminée est le four, où s’entassent ordinairement les paniers