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à terre, les pioches et les bigots[1], tout l’arsenal du vigneron ; par-dessous, on aperçoit au milieu des brindilles le tronc de bois sur lequel, en hiver, on aiguise les échalas. Le coin vis-à-vis du four, du côté de la fenêtre, est occupé par un grand lit à ciel carré et à rideaux de cotonnade bleue largement rayée, tombant perpendiculairement du plafond jusqu’à terre. Entre le lit et le four se trouve la porte de l’autre pièce. La colonne supérieure du lit correspond à l’angle d’évasement intérieur de la fenêtre. Un peu plus loin, une grande armoire en noyer noirci, à deux battans, sert de vestiaire à la famille. Quelques chaises de bois dur sont rangées autour de la chambre, d’autres sont engagées sous la grosse table à pieds tors qui en occupe le milieu. Le plancher, quoique de couleur terreuse, n’en témoigne pas moins de bonnes intentions de propreté par les rosaces encore fraîches dont l’a ouvragé l’arrosoir. Tout est d’une simplicité extrême dans cette cuisine aux murailles jaunes, mais tout y est rangé avec tant d’ordre, et le printemps y envoie du dehors un air si pur, qu’on s’y sent réellement tout à fait à l’aise.

La jeune fille qui coud auprès de la fenêtre semble être l’âme de cette grande pièce. Sur toute sa physionomie se reflète la satisfaction intérieure que procure le travail. C’est une brunette de vingt à vingt-cinq ans, aux joues un peu maigres, mais au teint ferme, au nez correct, aux lèvres résolues et aux grands yeux à la fois doux et malins. Ses cheveux bien peignés retombent en modestes bandeaux sur ses tempes pour disparaître sous une cornette bigarrée qui lui recouvre encore l’arrière de la tête. Sa robe d’indienne violette laisse deviner une structure saine et solide plutôt qu’élégante. Cette jeune fille s’appelle Fifine Clairet.

Tout à coup elle quitte sa couture, ôte le dé de son doigt et se dispose à allumer le feu en fredonnant à demi-voix cette douce ballade franc-comtoise :

Derrière chez mon père,
Vole ! mon cœur, vole !
Derrière chez mon père,
Il y a t’un pommier doux…
Il y a t’un pommier doux,
Tout doux et iou !
Il y a t’un pommier doux.

Trois jolies princesses,
Vole, mon cœur, vole !
Trois jolies princesses
Sont assises dessous,
Sont assises dessous,
Tout doux et iou !
Sont assises dessous.

La Fifine va prendre une marmite sous le dressoir, y verse de l’eau et la suspend à la crémaillère, puis elle prend sous le couvercle du pétrin des légumes apprêtés pour la soupe, et les met avec précaution dans la marmite sans discontinuer de chanter :

  1. Pioche à deux cornes.