Josillon se trouve aussi sous le péristyle ; on s’en aperçoit aux éclats de rire que provoquent ses remarques sur toutes les femmes qui passent en tenant leur parapluie d’une main et en retroussant leur jupe de l’autre. Tout à coup l’on voit déboucher, à l’angle supérieur de la place, une voiture à bœufs chargée d’un énorme rondin destiné à être scié en planches. Les bœufs sont littéralement trempés comme des soupes. Le voiturier est affublé d’un grand sac qui lui sert d’abri. À mesure que l’attelage approche, Josillon s’aperçoit que l’un des bœufs n’a plus qu’une corne.
— Eh ! c’est Manuel ! Eh bien ! est-ce que tu vas encore à Saigret comme ça ?
— Moi, à Saigret ? Où est-ce que c’est ça, Saigret ?
— Tu ne venais donc pas de Saigret l’autre jour, avec ta blouse sur ta tête ?
— De Saigret ! moi ? Jamais de la vie ! Ah ! vous pensez encore à ça, Josillon ? Eh bien ! attendez-moi là ; je vais décharger mon rondin, et nous irons prendre une demi-tasse au Café-Pompiers.
Le Café-Pompiers se trouve vis-à-vis de l’hôtel de ville. Un instant après, Manuel et Josillon parviennent effectivement à s’y installer tant bien que mal à une petite table, au milieu d’un nuage de fumée et d’un affreux vacarme. Grâce au mauvais temps, la salle est aujourd’hui garnie comme une barrique de harengs.
— Voyons, sucre-toi donc, grand, dit Josillon, pendant que c’est chaud. Où as-tu dîné aujourd’hui ?
— J’ai dîné au Cheval-Blanc, pour laisser passer la pluie ; mais j’ai compté sans mon hôte.
— Ainsi tu disais donc que tu ne venais pas de Saigret l’autre jour ?
— Jamais de la vie. Que voulez-vous que j’aille faire à Saigret, par hasard ?
— Ma foi ! que sais-je, moi ? faire l’amour peut-être. À ton âge, il n’y a rien là de bien étonnant. Après ça, tu entends bien, c’est ton affaire. Ça n’empêche pas que tu avais une drôle de mine toujours… avec cette blouse.
— Écoutez, Josillon, je voudrais vous demander quelque chose. Si je ne vous avais pas trouvé là, je voulais justement aller chez vous.
— Voyons ce que c’est. Si ce n’est pas dix mille francs à fonds perdus, je pourrai peut-être…
— Oh ! vous pourrez très bien ; il s’agit d’une affiche…
— Ah ! s’il s’agit d’une affiche…
— Parbleu, oui, d’une affiche que j’ai lue l’autre jour sur un mur au faubourg.
— Et qu’est-ce qu’il y avait sur cette affiche ?
— Il y avait… il y avait que le maire de Salins invitait les gens qui voudraient entreprendre le balayage de la ville à déposer leurs soumissions à la mairie dans le délai d’un mois.
— Et puis, en quoi cela te concerne-t-il ?
— En quoi ça me concerne ? Parbleu, je m’en vais vous le dire ; mais dites-moi, Josillon, est-il vrai, comme je me le suis laissé dire, que la ville paie ainsi une somme de sept à huit cents francs à celui qui se charge du balayage, sans compter toutes les balayures, qui sont encore pour lui ?
— Mais, ma foi ! je ne suis pas bien au courant de ces choses-là, moi. Et cependant,… tiens, si, je crois que si, tout de même. Oui, oui, je me rappelle