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qui a le plus manqué jusqu’ici aux compatriotes de Hegel, c’est l’art de détacher de vivantes figures, et nulle part assurément l’idée du genre humain n’a plus étouffé l’idée de l’homme. M. Varnhagen comprit que c’était là son vrai domaine, et il s’en empara du premier coup : les Monumens biographiques le mirent au rang des maîtres.


II

Le premier volume des Monumens biographiques, qui parut à Berlin en 1824, contient trois études animées d’un dramatique intérêt. Les héros de M. Varnhagen sont des personnages diversement célèbres qui ont joué un rôle brillant dans de singuliers épisodes des deux derniers siècles. Ils appartiennent tous les trois à l’Allemagne, mais c’est hors de l’Allemagne, c’est en de lointaines expéditions et au service de nations étrangères qu’ils ont attiré les regards étonnés de l’Europe. On reproche souvent aux peuples germaniques les inclinations rêveuses de leur esprit ; M. Varnhagen a eu l’idée de peindre pour ses concitoyens tout un groupe illustre d’aventuriers allemands. L’audacieuse intrépidité de leur caractère, les dramatiques épisodes de leur destinée disparaissaient au sein de l’histoire générale ; il a pris plaisir à les détacher du tableau où ils étaient trop confondus avec le mouvement du siècle pour les produire de pied en cap et réveiller dans les cœurs le sentiment de la vie active.

Le personnage qui inaugure ce groupe est un des princes souverains de l’Allemagne au XVIIIe siècle, le comte Guillaume de Schauenbourg-Lippe. Sa mère, la comtesse d’Oynhaussen, était fille naturelle de George Ier d’Angleterre et de la duchesse de Kendal, et quoique mariée à un prince allemand, elle passa à Londres la plus grande partie de sa vie ; c’est là qu’elle mit au monde, en 1724, le jeune Guillaume, qui devait, sous le nom de comte de Schauenbourg, tenir si vaillamment sa place dans la guerre de sept ans et devenir, en 1761, généralissime de l’armée portugaise. M. Varnhagen décrit avec une simplicité magistrale l’enfance du comte Guillaume, son éducation anglaise, ce mélange de gravité et d’intrépidité aventureuse qui était son génie, ses premiers actes comme souverain de la principauté de Lippe, ses relations avec Frédéric le Grand, son activité dans les camps de l’année hanovrienne et anglaise de 1755 à 1761 ; tous ces détails pourtant ne sont que les préliminaires de son sujet. Ce que l’auteur veut surtout nous montrer, ce n’est pas le lieutenant de Frédéric II, c’est le brillant condottiere auquel le Portugal du XVIIIe siècle, comme les républiques italiennes du XVe et du XVIe, confia le soin de sa défense. On touchait à la fin de la guerre de sept ans. Soumis déjà à l’influence anglaise, le Portugal venait d’être