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attaqué subitement par l’Espagne, aidée des renforts de la France. Que faire en ce pressant péril ? Avant de conduire l’armée portugaise à l’ennemi, il fallait un chef énergique pour la discipliner et la mettre en état de soutenir le feu. Désigné par les Anglais au choix du cabinet de Lisbonne, le comte de Schauenbourg accueillit avec joie l’éclatante occasion qui s’offrait à lui. Il n’ignorait pas, certes, quels dangers et quelles difficultés l’attendaient, mais la lutte plaisait à ce caractère résolu. Ce que devint le jeune souverain allemand au milieu de troupes désorganisées et d’officiers jaloux, il faut le demander au vivant récit de M. Varnhagen. Les plus redoutables ennemis du généralissime n’étaient pas sur les champs de bataille. Jamais le sang-froid, l’audace, l’autorité, la vigilance, une vigilance de tous les jours et de toutes les heures, ne furent plus nécessaires à un chef.

Ce sont les mêmes difficultés de situation, avec des qualités plus précieuses encore et de plus dramatiques aventures, qui recommandent le second héros de M. Varnhagen, le comte Mathias de Schulembourg. Le comte de Lippe s’est illustré en 1762 comme généralissime des Portugais ; quarante-cinq ans auparavant, le comte de Schulembourg était venu du fond de l’Allemagne à l’appel de Venise menacée par les Turcs, et il avait sauvé l’Italie tout entière par d’héroïques faits d’armes. Pendant la dernière période du XVIIe siècle, on voit le comte de Schulembourg prendre part aux guerres de l’Allemagne contre la France ; au commencement du XVIIIe, il est, au service de la Saxe, un des plus habiles adversaires de Charles XII ; en 1705, il combat de nouveau contre les armées de Louis XIV dans la guerre de la succession d’Espagne, et ses talens nous sont funestes puisqu’il partage avec le prince Eugène la gloire de Malplaquet ; tous ces titres cependant semblent surpassés encore par cette brillante expédition de Venise. Libérateur de la république de Saint-Marc et de l’Italie entière, c’est à Venise ou à Vérone qu’il passe la fin de sa vie, couvert d’honneurs, environné d’hommages ; c’est à Venise que Voltaire s’adresse à lui, lorsque, préparant en 1740 une seconde édition de l’Histoire de Charles XII, il veut de nouvelles informations sur les événements de 1703 et remercie publiquement l’illustre capitaine dans une de ces lettres élégamment flatteuses qui étaient déjà la consécration de la renommée. On devine avec quelle joie sévère l’aide de camp et l’historien du général Tettenborn ranime pour l’Allemagne du XIXe siècle les traits effacés de ces mâles physionomies ; le portrait du comte de Lippe et le portrait du comte de Schulembourg ouvrent d’une façon expressive la galerie de M. Varnhagen d’Ense.

M. Varnhagen affermira de plus en plus les fines qualités de son