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ne perdit pas de vue cette couronne éphémère et essaya maintes fois de la ressaisir : toutes ses tentatives furent vaines. Retiré en Angleterre, vers le milieu de l’année 1749, il y trouva d’implacables ennemis. Pour accomplir de telles choses, il avait été obligé de contracter bien des emprunts en Angleterre et en Hollande ; l’ambassadeur de Gênes à Londres n’eut pas de peine à ameuter contre lui des créanciers trompés dans leur espoir de gain, et le roi de Corse, qui avait déjà été emprisonné à Amsterdam, fut obligé de passer sept années dans le cachot des prisonniers pour dettes. L’Angleterre s’émut de cette infortune ; Horace Walpole écrivit d’éloquentes pages en sa faveur, l’acteur Garrick lui consacra le profit d’une soirée dramatique, d’illustres personnages imitèrent cet exemple, et l’on procura au roi déchu le moyen de vivre, pauvre et solitaire, mais libre, dans un obscur réduit. Il suivait toujours des yeux les vicissitudes de la Corse et s’obstinait dans ses chimériques illusions, quand la mort vint le frapper le M décembre 1756, à l’âge de soixante et un ans.

Tel est le personnage dont M. Varnhagen a retrouvé les titres avec une attrayante habileté. L’auteur voulait d’abord proposer ce tableau comme un exemple d’audace et de constance opiniâtre ; arrivé à la fin de son histoire, il est visible qu’il éprouve plus d’un doute. Le bien domine-t-il le mal dans cette singulière existence ? Est-ce là un héros devenu un aventurier, ou un aventurier qui aurait pu devenir un héros ? On ne peut nier que Théodore Ier ait une triste position dans l’histoire ; il y a longtemps que la Corse a oublié son nom. Effacé presque immédiatement de la tradition de ce pays qu’il croyait inféodé à sa fortune, s’il réparait plus tard dans la mémoire des hommes, c’est pour s’asseoir au souper de Candide ou pour amuser la cour de Joseph II dans le célèbre opéra de Paisiello. On aimerait qu’il eût laissé en Corse un souvenir plus durable, et que des bienfaits sérieux eussent justifié ses prétentions ; ne faut-il pas reconnaître cependant avec le biographe que cette âme où l’intrigue avait tenu tant de place se montra supérieure à l’infortune, que cet esprit vaniteux et mobile courut plus d’une ambition généreuse ? Qu’on décide ce point comme on voudra, il y a une conclusion qui nous plaît mieux : le nom de ce souverain exprimera surtout les vicissitudes du sort dans les jeux ténébreux de la force et du hasard : » En 1736, dit M. Varnhagen, un Westphalien fut roi de Corse ; soixante-treize ans plus tard, un Corse était roi de Westphalie. »

Ce premier volume des Monumens biographiques avait obtenu un grand succès : le second, qui parut l’année suivante avec une dédicace au prince royal de Prusse, aujourd’hui Frédéric-Guillaume IV, contient le portrait de deux maréchaux prussiens, le baron George