Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

texte même du philosophe inconnu que nous avons sous les yeux, accompagné des notes allemandes de Rachel.

Ajoutez à ces notes les gracieuses pages que M. Varnhagen consacre à la duchesse de Bourbon : c’est encore là un curieux épisode de cette histoire du mysticisme que domine le nom de Saint-Martin. Sœur du duc d’Orléans Philippe-Égalité et mère de l’infortuné duc d’Enghien, la duchesse de Bourbon avait connu Saint-Martin avant la révolution, et elle avait puisé dans ses entretiens une ferveur de mysticisme qui s’accrut encore sous les coups du grand orage. La duchesse fut arrêtée pendant la terreur ; emprisonnée d’abord à Marseille jusqu’en 96, puis internée à Moulins, elle reçut en 1797 l’ordre de quitter la France et fut conduite à la frontière d’Espagne par un agent du directoire. Cet agent était jeune, spirituel, bienveillant ; la duchesse entreprend de dissiper ses préjugés voltairiens, elle discute avec lui, elle attendrit son âme, puis elle l’adresse à Saint-Martin, et, après une longue correspondance que les tristesses de l’exil n’interrompent pas, elle le ramène au christianisme. Les lettres françaises doivent des remerciemens à M. Varnhagen pour le soin qu’il a mis à retrouver cette singulière et touchante aventure : personne n’était plus digne que lui de mettre en lumière ce curieux livre, imprimé sans doute à Barcelone et publié sans nom d’auteur : Correspondance entre madame de B. et M. JR. sur leurs opinions religieuses. MDCCCXII.

C’est ainsi que, de 1833 à 1848, M. Varnhagen agrandissait chaque jour son rôle d’écrivain ; c’est ainsi que, représentant d’une belle période évanouie, il maintenait le culte des souvenirs, et travaillait sans pédantisme à l’éducation de son temps. Son attitude dans les débats littéraires et les transformations sociales marquait plus vivement son influence sur la société de Berlin. À l’apparition de l’école turbulente et fantasque qui prenait le nom de jeune Allemagne, une rupture s’était faite entre le monde des lettres sérieuses et les aventuriers de l’imagination. Fidèle aux traditions de sa jeunesse ainsi qu’aux exemples de Rachel, M. Varnhagen d’Ense, tout en gardant cette réserve décente qui fait partie de son originalité, ne dissimula pas ses sympathies pour les tentatives et les espérances de l’esprit nouveau. Un écrivain de cette jeune école aujourd’hui dispersée, M. Charles Gutzkow, a raillé la circonspection de M. Varnhagen et ce qu’il appelle la dignité officielle et diplomatique de son style. Plus juste et plus intelligent, M. Henri Heine voit en lui le cardinal d’Este souriant aux étincelantes créations de l’Arioste, « Où diable, messer Ludovico, avez-vous péché ces folles histoires ? » s’écria le cardinal d’Este en achevant de lire l’Orlando furioso. « Vous aussi, dit M. Heine à M. Varnhagen en lui dédiant son Atta-Troll, vous aussi,