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mon vieil ami, vous poussez la même exclamation, et je vois le même fin sourire sur vos lèvres. Parfois vous riez aux éclats, parfois la méditation plisse tout à coup votre front rêveur ; vous recueillez vos souvenirs et vous dites : N’est-ce pas l’écho de mes rêves de jeunesse avec Chamisso, Brentano et Fouqué, quand les rayons de la lune faisaient resplendir les belles nuits bleues ? »

Les événemens de 1848 ranimèrent chez M. Varnhagen les idées libérales qui faisaient le fond de ses croyances intellectuelles. Il pensa que sa longue expérience des hommes et des choses de son temps l’autorisait à donner un conseil à l’Allemagne sur la crise qu’elle allait traverser ; il publia au mois d’août une brochure pleine de sages avertissemens et de patriotiques espérances ; mais déjà les passions étaient soulevées, et mille folles chimères enivraient les esprits. Trompé comme tant d’autres dans un légitime espoir, M. Varnhagen n’a gardé de ces épreuves qu’un attachement plus fidèle à sa cause. Il lui est même arrivé de dépasser la mesure. Ce n’était pas lui qui pouvait prendre goût à ces restaurations du moyen âge essayées par Frédéric-Guillaume IV et son conseil de piétistes, et quand M. de Radowitz imagina je ne sais quel compromis bizarre entre le monde féodal et le monde moderne, il ne fut pas dupe non plus de ces mots de liberté et de constitution arborés comme une bannière par l’éminent orateur. Toutes ces réactions singulières l’affermirent dans sa foi aux principes de 89, et, poussé à bout par l’exaltation des Stahl, des Léo, des Gerlach, il ne craignit pas de s’allier à un parti qui n’est pas le sien. Cet homme qui avait été au service de l’Autriche et de la Russie, l’aide de camp du général Tettenbom ; ce diplomate qui avait été le ministre du gouvernement prussien auprès de plusieurs cours d’Allemagne, et qui avait dû le représenter aux États-Unis ; cet homme enfin si grave, si naturellement réservé, qui n’avait eu toute sa vie qu’une passion, la passion de savoir et de comprendre, on n’était pas médiocrement surpris de l’entendre parler dans les salons de Berlin comme un des patrons de la démocratie. La démocratie de M. Varnhagen, on le pense bien, ce n’est pas celle qui a effrayé l’Allemagne et l’a ramenée en arrière ; c’est surtout une aversion décidée pour ces restaurations du moyen âge, plus fausses, plus trompeuses et plus intolérables à Berlin que partout ailleurs. cette franchise d’un esprit droit, alors même qu’elle s’emporte au-delà des justes limites, ne sied pas mal au disciple de Kant, à l’ami de Fichte, au biographe de Schlabrendorf et de Bollmann, à l’homme dont Rachel a porté le nom.

M. Varnhagen est surtout le digne représentant de la tradition allemande au XVIIIe comme au XIXe siècle. Tout récemment encore, il complétait ses études sur l’histoire militaire de son pays par une