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moment, les fabriques belges furent énergiquement protégées contre l’industrie française. Telle était la situation en 1830.

Les révolutions, qui bouleversent tant de choses, ne déplacent pas les intérêts. Sans doute, la Belgique se trouvait, dès le lendemain de son triomphe, rattachée à l’alliance française : la France seule était en mesure de plaider avec succès et sans arrière-pensée, dans les conseils de l’Europe, la cause de la nationalité belge ; mais les sympathies politiques ne détruisaient pas l’antagonisme industriel qui existait entre les deux pays. Après comme avant 1830, les tarifs établis par la Hollande en 1823 repoussèrent les marchandises françaises. La révolution qui venait de renverser la domination de la maison d’Orange laissa debout les droits de douane, et l’on vit alors cette anomalie singulière, que de toutes les nations avec lesquelles la Belgique entretenait des relations commerciales, la France, son alliée, la plus intime, était en même temps la plus maltraitée. Ce fut seulement en 1838 que la plupart des dispositions restrictives de l’arrêté hollandais de 1823 disparurent de la législation belge.

Lorsque pour la première fois les cabinets de Paris et de Bruxelles songèrent à négocier un acte diplomatique destiné à asseoir sur des bases durables les rapports commerciaux des deux peuples, on découvrit les difficultés sans nombre qui devaient s’opposer à la réalisation de ce projet, si naturel pourtant et dicté par les considérations les plus évidentes de bonne politique et d’équité mutuelle. D’un côté, la France déclarait qu’elle n’était pas en mesure de lever les prohibitions de son tarif et d’offrir à l’exubérance de la production belge l’écoulement que celle-ci réclamait ; d’autre part, sitôt que nous sollicitions un dégrèvement quelconque en faveur d’un article de notre industrie, les intérêts belges se soulevaient avec indignation ; ils se prétendaient sacrifiés, se posaient en victimes et reprochaient à la France d’exploiter, dans des vues égoïstes, l’influence politique dont elle jouissait à Bruxelles. Ces récriminations étaient assurément fort injustes, car, malgré le maintien de nos prohibitions, la Belgique obtenait en France, pour ses fontes et ses houilles notamment, des avantages de tarif qui contrastaient avec l’élévation exceptionnelle des taxes qu’elle imposait à nos marchandises ; mais elle se sentait forte de sa faiblesse même : ses ministres savaient que le cabinet français ne s’obstinerait pas à exiger des concessions qui auraient pu compromettre la popularité du roi Léopold, en sorte que les négociations, engagées dès 1831, n’aboutissaient qu’à des ajournemens.

On discuta pendant plusieurs années. Fatigués de ne pouvoir s’entendre sur l’échange de concessions partielles, les négociateurs furent amenés à élargir l’horizon du débat et à examiner le projet d’une union douanière. On eut ainsi tranché d’un seul coup toutes les difficultés de détail, en opérant une fusion complète entre les intérêts commerciaux, industriels et financiers des deux pays. C’était une grande pensée. Justifiée par l’exemple du Zollverein, elle se recommandait par la raison politique. Elle donnait satisfaction à la Belgique, qui acquérait pour ses manufactures un marché de trente-quatre millions d’âmes, et elle coupait court aux tendances qui s’étaient plusieurs fois déjà manifestées à Bruxelles en faveur d’une alliance plus étroite avec