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ne conçoivent point encore deux choses : l’une, c’est que l’Occident, relié par tant de souvenirs d’ancienne protection et tant de considérations morales aux populations chrétiennes de l’Orient, se soit pris tout à coup d’un si beau feu pour le pouvoir musulman ; — l’autre, c’est que la France, unissant ses forces navales à celles de l’Angleterre, aille détruire la seule marine qui, jointe à la sienne, puisse balancer la puissance maritime anglaise. — Ces deux faits ne sont-ils pas naturels ? Le premier ne s’explique-t-il pas par la nécessité impérieuse de ne point laisser l’intérêt chrétien servir de prétexte à une prépondérance menaçante, pour l’Occident ? Quant au résultat qu’on veut rattacher à l’alliance de la France et de l’Angleterre, les dispositions désintéressées, conciliantes, manifestées par les deux gouvernemens, les concessions mêmes du cabinet anglais sur le droit des neutres, n’indiquent-elles pas le sentiment qui a entraîné les puissances occidentales à mettre une question de civilisation au-dessus de leurs rivalités éventuelles ? Ce qu’il y a de remarquable au contraire et ce qui donne à cette crise un caractère particulier, c’est l’esprit qui a présidé aux conseils du continent, et qui, à l’aide de concessions mutuelles, est parvenu à nouer la coalition de toutes les forces européennes dans une pensée de résistance aux empiétemens de la Russie. C’est, si l’on peut ainsi parler, la moralité qui ressort de toutes les phases qu’ont traversées les affaires d’Orient. La Turquie, engagée la première pour sa propre défense, a été bientôt suivie de l’Angleterre et de la France, lesquelles à leur tour seront bientôt suivies indubitablement de l’Allemagne. Ce mot mystérieux et définitif que l’Autriche n’a point prononcé encore, il est vrai, plus que jamais il s’échappe de toute sa politique. Ainsi se seront groupés tous les intérêts, toutes les forces qui ont leur place et leur rôle dans la question orientale. Or, au moment où peuvent se produire d’un jour à l’autre des événemens décisifs, Observons encore cette grande crise dans ses élémens principaux, sur les divers théâtres de la guerre, dans les dernières délibérations de l’Allemagne et dans ce triste épisode de la Grèce qui est venu contraindre. Les puissances occidentales à sauver par une intervention le royaume hellénique d’un plus grand désastre.

S’il est un fait de nature à prouver la ferme volonté de l’Angleterre de pousser la lutte avec vigueur, c’est la résolution que vient de prendre le cabinet de Londres en créant un ministère spécial de la guerre, qui n’existait pas jusqu’ici. On sait d’ailleurs sur combien de points cette lutte est engagée ; elle se poursuit dans le Nord et en Orient, et elle s’étend même jusqu’en Asie. Dans la mer Baltique, la flotte commandée par l’amiral Napier n’a point entrepris encore d’opération décisive. Le plus remarquable fait d’armes est un acte d’audace de deux bâtimens anglais qui se sont aventurés pour aller démonter quelques batteries russes. Il n’y a point eu d’autre attaque depuis celle du fort d’Hangœ. Il peut y avoir parfois dans l’opinion publique quelque impatience de voir la guerre prendre un caractère plus décidé. C’est que l’opinion publique ne raisonne pas toujours sur les difficultés d’attaquer l’escadre russe, qui ne sort pas de ses ports, ou d’attaquer ces ports eux-mêmes, pourvus d’immenses moyens de défense.

Les flottes de la Mer-Noire ont pu tenter quelques opérations plus effectives. Après avoir inutilement offert le combat a l’escadre russe enfermée