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dans Sébastopol, elles se sont tournées vers les côtes de la Circassie. Les principaux établissemens russes sur ces côtes ont été évacués, notamment ceux de Soukoum-Kalé et Redoule-Kalé, que sont venues occuper des troupes turques. Si l’on songe que Schamyl, agissant de concert avec les forces alliées, se disposait à attaquer les Russes, il est facile de comprendre à quels périls se trouve exposée cette œuvre de conquête si laborieusement accomplie par la Russie. L’abandon même de quelques-uns de ses établissemens de la côte est un échec pour ses armes et pour son ascendant dans ces contrées. Mais il est évident que le plus grand intérêt de la guerre se concentre aujourd’hui sur le Danube, où se trouvent en présence les armées de la Russie et de la Turquie, et où ne peuvent manquer d’arriver prochainement celles de l’Angleterre et de la France. Un conseil de guerre réunissait récemment à Varna le maréchal Saint-Arnaud, lord Raglan et Omer-Pacha. C’est là que se sont décidées sans doute les opérations militaires qui vont être exécutées. Quoi qu’il en soit, ce qu’il y a à remarquer, c’est la ferme et vigoureuse attitude de l’armée turque, jusqu’ici livrée à elle-même dans sa lutte contre les forces du tsar. Depuis sept mois, elle s’est soutenue sans faiblir, obtenant au contraire des avantages, soit à Oltenitza, soit dans sa défense de Kalafat. En ce moment encore, elle vient de repousser victorieusement plusieurs attaques dirigées contre Silistria, et l’armée russe qui assiège cette place a eu à essuyer d’assez sérieuses pertes. On pourrait dire qu’Omer-Pacha a conduit cette campagne avec autant d’habileté militaire que de sagacité politique, gagnant du temps pour laisser se développer les événemens, tenant les Russes en échec, formant son armée et l’accoutumant à la guerre, relevant son esprit par quelques succès, sans engager de bataille décisive. Aujourd’hui la lutte sans doute va prendre un caractère nouveau. L’armée russe attendra-t-elle, dans les positions qu’elle occupe sur la rive, droite du Danube, la présence des forces combinées de la France et de l’Angleterre ? Toujours est-il que dès ce moment son plan d’opérations semble changé. Par une extrémité de sa ligne, elle occupe encore le Danube et fait le siège de Silistria : par l’autre, extrémité, elle touche à Iassy, où le maréchal Paskevitsch a établi son quartier-général. On pourrait y voir un mouvement de retraite vers le Pruth, mais il est infiniment plus probable, dans les circonstances actuelles, que cette évolution n’a d’autre but que de rapprocher l’armée russe de la Bukovine et de la Transylvanie, afin de faire face à l’Autriche, de telle façon que le mouvement accompli par le maréchal Paskevitsch ne serait qu’un des signes des complications nouvelles créées par la politique plus décidée de l’Allemagne, un système adopté dans la prévision d’hostilités imminentes avec l’Autriche.

Là est en effet aujourd’hui la question qui peut aggraver singulièrement la situation de l’armée russe dans les principautés, en achevant d’assurer à l’Europe la dernière garantie de sa défense. Or cette question, est-elle douteuse ? On connaît les faits par lesquels s’est manifestée depuis quelque temps la politique allemande. Le traité austro-prussien est intervenu d’abord. L’Autriche a adressé une note au cabinet de Saint-Pétersbourg pour réclamer l’évacuation des principautés. C’est la réponse du tsar qui va fixer évidemment la nature des relations qui existeront entre les deux empereurs. On peut