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dans les idées pour s’imposer de haute lutte et promettre au public des jouissances vives et nouvelles. Nous avons été même jusqu’à émettre ici le doute que M. Massé pût supporter sans défaillance le fardeau d’un opéra en trois actes. La Fiancée du Diable confirme-t-elle nos prévisions, ou nos craintes étaient-elles chimériques ?

L’ouverture manque complètement de caractère. C’est la juxtaposition de trois ou quatre petites phrases écourtées qui ne forment point un tout homogène, et que le compositeur aurait dû mieux choisir et développer davantage. Ce n’est point une œuvre à dédaigner qu’une bonne ouverture, et l’école française n’en possède pas un assez grand nombre pour qu’il n’y ait quelque gloire à savoir écrire un morceau de symphonie. Les couplets de Gilette et ceux de son frère Audiol, qui, après avoir été entendus séparément, se réunissent en un très joli duo, ouvrent le premier acte d’une manière piquante. Le duo qui suit entre le marquis de Langeais et Gilette, dont il a trompé la bonne foi, renferme de jolies phrases qui ne parviennent point à maturité, et il a le même défaut que l’ouverture. Nous préférons la romance chantée par l’armurier Audiol, elle est d’une forme élégante et facile que M. Masini ne désavouerait pas. Le finale qui termine le premier acte, que le jeune compositeur a voulu évidemment traiter con impegno, comme disent les Italiens, n’est-il pas d’une carrure trop forte pour un opéra de genre où il ne s’agit, après tout, ni des conquêtes d’Alexandre ni de la destruction de Jérusalem ? C’est un défaut bien commun de nos jours que ce fracas intempestif et ces exclamations héroïques dans une simple histoire de village. M. Massé n’a pas voulu laisser échapper l’occasion de prouver qu’il savait écrire un morceau d’ensemble vigoureux, et il l’a fait con amore, au risque de crever la toile sur laquelle il a jeté ses couleurs criardes et un peu confuses.

Le second acte est infiniment mieux réussi que le premier. On y remarque un assez joli trio entre Audiol, sa sieur Gilette et Catherine la fiancée. Ce trio gagnerait beaucoup à être raccourci d’une trentaine de mesures, car il est évident que la gaucherie d’Audiol auprès de la femme qu’il aime, en se prolongeant trop, choque la vraisemblance. Le quatuor qui vient ensuite entre les mêmes personnages et Mathéo, sorte d’inquisiteur manqué que les scrupules de la censure n’ont pas laissé passer sous le grave costume, de dominicain, ce quatuor est très bien réussi, et s’il ne s’y trouvait quelques petites phrases parasites qui distraient l’attention, il serait mieux encore et mériterait tout le succès qu’il obtient. Le duo entre le marquis de Langeais et Gilette pourrait être supprimé sans grand dommage, et cet le suppression d’un morceau inutile ferait encore mieux ressortir le beau chœur syllabique pour voix d’hommes qui précède le finale. Ce chœur très remarquable, qui revient deux fois, et dont le compositeur aurait dû faire le thème de son second finale, est suivi des couplets que chante le familier de l’inquisition, et qui rappellent un petit duo de Richard Cceur-de-Lion de Grétry. Ces couplets, d’un rhythme piquant, avec la réponse du chœur qui en répercute la cadence, sont redemandés, et deviendront promptement populaires. Au troisième acte, on remarque encore un agréable trio dont la phrase principale, confiée à la voix onctueuse de M. Bussine, est d’un beau caractère qui aurait produit un effet plus saisissant, si le personnage équivoque de Mathéo avait conservé l’habit