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religieux sous lequel il a posé devant le compositeur. Trop long de moitié, ce trio est accompagné d’une harmonie fine, ingénieuse et souvent exquise. Le duo qui suit, entre le pauvre Audiol et Catherine, devenue sa femme, mais qu’il croit ne pouvoir posséder qu’un instant, puisqu’il s’attend à voir le diable venir bientôt l’arracher de ses bras, ce duo, plein de passion, est un petit chef-d’œuvre et le meilleur morceau de la partition. L’opéra finit heureusement par un autre duo très piquant entre Gilette et le marquis de Langeais, qu’elle vient de démasquer et de transformer en un mari obéissant.

On voit que la Fiancée du Diable renferme plus de morceaux distingués qu’il n’en faudrait pour obtenir un succès durable : les couplets entre Audiol et Gilette, la romance de ténor et le finale du premier acte, dont la stretta ne manque certainement pas de vigueur, un trio ingénieux, un quatuor charmant, un très beau chœur pour voix d’hommes, et les couplets de Mathéo au second acte ; au troisième acte, un duo remarquable pour ténor et soprano, qui produirait un très grand effet, s’il était chanté par des voix franches et naturelles. On pourrait sans doute signaler dans le nouvel ouvrage de M. Massé de nombreuses réminiscences où se trahit la perplexité de sa muse. On y sent l’influence de la manière de M. Auber, celle d’Hérold plus fortement encore, et l’Étoile du Nord de H. Meyerbeer semble aussi avoir eu quelque action sur l’auteur de la Fiancée du Diable ; mais ce sont là moins des imitations véritables que les élémens d’un style qui n’est pas encore formé, et qui flottent un peu à l’aventure, comme les globules d’un sang généreux. M. Massé est jeune, laborieux, noblement ambitieux de se faire un nom durable. Si la Fiancée du Diable n’a pas entièrement touché le but désiré, elle n’en constate pas moins un très grand progrès sur les trois petits ouvrages qui ont fait la réputation de M. Massé.

L’exécution de la Fiancée du Diable est très défectueuse. Ni M. Puget ni Mlle Boulart n’ont la voix et le talent nécessaires pour les rôles qu’on leur a confiés. La pièce est jouée avec entrain par Mlle Lemercier, MM. Sainte-Foy et Couderc ; il n’y a que les chœurs qui chantent véritablement.

Jeunes compositeurs qui voulez régénérer la scène française, laissez donc-là les vieilles ruses de guerre, qui ne trompent et n’amusent plus personne ; adressez-vous aux vrais poètes, car il vaut mieux un rayon de poésie dans un drame lyrique que toutes les finesses de Voltaire !

Avant de quitter Paris, où il était venu pour l’inauguration de l’orgue de Saint-Eustache, M. Lemmens a donné, dans les salons de M. Érard, une matinée musicale du plus grand intérêt. Il a exécuté sur le piano ordinaire différens morceaux des maîtres, entre autres l’admirable sonate en la bémol de Weber. M. Lemmens, qui est un artiste d’un rare mérite, ne joue pas moins bien du piano que de l’orgue, et nous avons pu apprécier à cette matinée, qui avait réuni un grand nombre de musiciens et d’amateurs distingués, la souplesse et la vigueur de son talent. Ce qui nous a particulièrement intéressé à cette séance, c’est l’audition d’un nouveau piano à pédales que vient de construire M. Érard. Ce piano n’est point, à vrai dire, un instrument entièrement nouveau, mais la restauration d’un vieil instrument du XVIIIe siècle, pour lequel le grand Sébastien Bach a composé un grand nombre de chefs-d’œuvre qu’il serait impossible d’exécuter sur le piano ordinaire. Ce bel instrument, d’une puissante sonorité, a été touché pour la première fois à Paris par M. Akan